UNE MAUVAISE ÉTERNITÉ

UNE MAUVAISE ÉTERNITÉ

6 septembre 2016 Non Par Me Gaston Vogel

Avant Jésus, les malheurs du genre humain étaient le scandale de la Providence.

Il était réservé à l’Evangile de vous apprendre le grand art de savoir être malheureux.1

À l’instant même où François II canonisait la Sainte des slums de Calcutta, Jésus très irrité par le cirque qui venait de se dérouler à Rome la convoquait et la reçut les bras fermés.

Il lui notifia un long réquisitoire dans lequel Il avait aligné toutes les préventions que l’humanité de là-bas avait libellées contre elle.

Pour cette cérémonie de mise en accusation, Jésus avait pris soin de s’entourer des milliers d’enfants et vieillards que la Sainte fraîchement élue avait laissés mourir dans les pires douleurs sans leur administrer le moindre adjuvant.

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1. Et ainsi il n’est pas surprenant que dans un 1er point de l’acte d’accusation, Jésus lui reprochait d’avoir fait régner dans les slums, un culte de la mort et de la souffrance.

D’avoir glorifié la souffrance au motif débile qu’elle rapprocherait de Dieu le malade en fin de vie.

Elle répétait souvent les paroles saines de l’abbé Roissard, prédicateur ordinaire du roi :

 « Plus vos maux sont multipliés, vos douleurs aiguës et surtout votre maladie incurable, plus vous vous détacherez de tout et vous vous unirez à lui ; cette union sera intime, si vous souffrez en chrétien. »9

Dans la crasse où elle logeait les miséreux, elle appliquait avec une tendre brutalité les principes de l’humanisme chrétien.

Elle trouvait sa confirmation dans l’introduction à la Vie dévote de Saint François de Sales.

Il a su comme aucun autre expliquer ce qui peut rendre heureux.

« Quand vous serez malade, offrez toutes vos douleurs, peines et langueurs au service de Notre Seigneur et suppliez-le de les joindre aux tourments qu’il a reçus pour vous. Ressouvenez-vous que les abeilles, au temps qu’elles font le miel, vivent et mangent d’une munition fort amère et qu’ainsi nous ne pouvons jamais faire des actes de plus grande douceur et patience, ni mieux composer le miel des excellentes vertus, que tandis que nous mangeons le pain d’amertume et vivons parmi les angoisses. »2

On retrouve le même humanisme dans les prônes et sermons que les curés de campagne prêchaient aux fidèles…

« Rien ne vaut l’amour des souffrances.

Oui, ceux qui souffrent, mais qui souffrent bien, sont heureux…

Ceux qui refusent de souffrir ou souffrent mal, ne peuvent avoir la paix, parce qu’ils résistent à Dieu. »10

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Jésus tremblait de colère à l’écoute de ces cynismes.

C’est à ce moment qu’un messager venait lui apprendre que lors d’une enquête sur les horribles conditions de soins et d’hygiène dans les centres où elle s’agitait en toute charité, ARUP CHATTERJEE découvre « que les seringues furent nettoyées à l’eau froide et réutilisées sans cesse, des médicaments périmés furent administrés aux malades et l’aspirine n’était quasi pas utilisée. »4

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 2.Jésus l’accusait ensuite de détournement de fonds.

Il l’exhortait à rendre compte des capitaux énormes qu’elle avait pu amasser dans cette hypocrite Europe chrétienne et d’expliquer pourquoi elle omettait systématiquement de les investir dans les camps de boue, où elle laissait croupir en toute charité, les plus miséreux de Calcutta.

Jésus s’intéressait plus particulièrement à la question de la provenance de ces fonds et il questionnait avec inquiétude et une rage à peine contenue sur les relations que la Sainte entretenait avec les pires salauds du monde tels Baby Doc Duvalier (l’ordure d’Haïti), Robert Maxwell et Charles Keating.

*

3.Jésus lui reprochait ensuite de n’avoir pas remué le petit doigt pour émanciper les pauvres, les libérer du carcan concentrationnaire des castes.

Elle aurait pu contribuer à cette grande œuvre en mettant à profit son prix Nobel et son incontestable charisme.

Eh bien non !

Elle répondit d’une voix tremblante :

« Mais mon Seigneur, Votre Eglise a enseigné des siècles durant que… »

« L’état du pauvre est de lui-même et par lui-même un état de salut ; que pour se sauver il suffit que le pauvre se tienne dans son état. »5

« La piété véritable est l’ordre de la société, elle laisse chacun à sa place, fait de l’état où Dieu nous a placés l’unique voie de notre Salut. » 3

L’on est rien devant Dieu quand on n’est pas ce que l’on doit être. » 3

Elle appliquait sans plus les sages conseils de Quesnel :

« La vie est trop peu de chose pour se mettre en peine de changer de condition…

La nature aime à se dilater et à s’étendre…

L’esprit de Jésus nous porte à nous resserrer et à nous contenir dans notre petitesse…

Heureux à qui aime à demeurer en bas.»8

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Tout cela fait partie des grands principes de l’humanisme chrétien.

*

C’en fut trop.

Jésus se détourna avec dégoût et reprit la lecture de l’acte d’accusation.

*

Il reprocha à la Sainte d’avoir fait de Calcutta une construction imaginaire, un laboratoire du « développement et de la mauvaise foi »6 dénoncé par le jésuite

Gaston Roberge dans un texte paru chez Autrement sous le titre :

«  L’invention du sous-développement. »

« Bien que Mère Térésa, dit-il, soit tout à fait consciente de la nécessité de réformes profondes, elle sert le miséreux de façon inconditionnelle.

Ce faisant, elle renforce le désir secret de l’Occident de secourir les pauvres sans vraiment changer son propre style de vie.

Développement, en fait, aux frais des sous-développés. »7

*

Et enfin une quatrième prévention, celle d’avoir diabolisé l’avortement et la contraception dans un univers surpeuplé où règne la misère la plus noire et avoir ainsi contribué à l’augmenter et en particulier d’avoir soutenu que l’avortement serait le plus grand destructeur de paix.

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Et Jésus, arrivé au terme d’une douloureuse lecture, invitait la Sainte à préparer sa défense.

Le procès sera long et sans pitié.

Il durera toute une éternité.

Sur ce, Il a quitté la Sainte la laissant à ses pensées.

Il regagnait l’Elysée, suivi de tous les miséreux qui n’avaient trouvé auprès de la Sainte ni pitié, ni aide, ni consolation.

HOSANNAH.

Gaston VOGEL

1 Cité par B. Groethuysen – Origine de l’esprit bourgeois en France – page 163

 2 Introduction à la Vie dévote de Saint François de Sales – Pléiades pages 47, 48 55 et 56

3 Massillon – Petit Carême – Sermons sur les Ecueils de la pitié des Grands.

4 Voir Le Monde 04.09.2016 page 12 in fine – Telegraph 04.09.2016 – Lancet-report 1994

 5 Réguis – La voix du pasteur – tome IV 2ème Dominicale page 334

 6 Gaston Roberge – Autrement – «  L’invention du sous-développement »

7 Autrement – Calcutta 1905-1971 – page 162

 8 Quesnel, tome V, page 259

 9 La consolation du chrétien par Monsieur l’abbé Roissard, prédicateur ordinaire du roi. – tome II. Paris 1803

 10 Le Pâturage – Gaston Vogel – Phi – page 75

 La vie des Saints – Gaston Vogel – pages 74, 126, 130, 131, 148.

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