DANS LE MONDE ORWELLIEN

14 janvier 2021 Non Par Me Gaston Vogel

Le projet de loi portant modification de la loi modifiée du 18.07.2018 sur la police Grand-Ducale

En mains le projet qui est le résultat d’une âpre discussion qui occupait les mois d’été de 2019 autour de ce qu’on appelait à l’époque le casier bis.

C’est un peu mieux si on compare ce qu’on propose de faire à ce qui fait le droit à ce jour avec son penchant à l’arbitraire et au sournois, indigne d’une démocratie.

Ce n’est pas la panacée.

Cela reste très Orwellien.

Le citoyen sera fiché.

Il se retrouvera soit dans une partie active, soit dans une partie passive du fichier central.

Il n’en sortira qu’au bout d’un certain temps et encore…

Il est ainsi sous l’œil vigilant des policiers qui se voient accorder dans le projet des droits qui sont ahurissants et qui violent l’article 8 de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Quelques premières observations :

  1. Qu’a-t-on fait de l’avant-projet qui n’est pas pareil au projet présenté hier soir aux petites lucarnes par le ministre Kox, qui a d’ailleurs glissé sur l’essentiel ?

A-t-il disparu dans les limbes ?

Et si oui pourquoi ?

2) L’article 43 alinéa 2 est propre à provoquer un hérissement de colère.

Ce texte veut donner accès direct à la police par un système informatique aux comptes de paiement, comptes bancaires identifiés par un numéro IBAN et aux coffres-forts tenus par les établissements de crédit au Luxembourg et cela à des fins à la fois judiciaires qu’administratives.

Ainsi l’ultime brin de secret bancaire sera sacrifié sur l’autel de la flicquerie.

L’accès direct aux finances des citoyens n’est soumis à aucune autorisation préalable.

Certes il y a le contrôle de l’Autorité de contrôle, mais cela post festum, quand le mal est fait.

N’est-ce pas monstrueux ?

Il est effrayant de constater que ce texte n’est guère commenté, ni dans l’exposé des motifs, ni par les présentateurs qui s’agitent aux petites lucarnes.

Ça va beaucoup beaucoup trop loin.

Cette intrusion dans la vie privée des gens est la négation même des principes généreux les plus indiscutables, parce que les plus évidents – nous sommes confrontés à une violation manifeste des principes qui régissent le respect de la vie privée auxquels on reviendra ci-après.

3) Très dérangeant est encore le maintien dans le fichier central, à côté d’une partie active, une partie passive dans laquelle on garde des informations qui ne devraient se trouver ni dans l’une, ni dans l’autre.

Tel est le cas pour les acquittements coulés en force de chose jugée – des réhabilitations et des non-lieu.

Il est impossible de saisir que des décisions de justice qui ont blanchi à tout jamais un citoyen faussement inculpé, qui l’ont réhabilité aux yeux de l’opinion publique auprès de qui sa renommée avait été salie par des enquêtes qui n’ont pas abouti, puissent envers et contre tout bon sens être maintenues non seulement dans la partie active (Si le Procureur devait décider ainsi), mais encore dans la partie passive.

Elle restera archivée – ce qui est un scandale pur et simple.

Un acquittement est un constat de néant de culpabilité – le propre du néant est de néantiser.

Les décisions d’acquittement, ainsi que tous actes ayant accompagné la procédure judiciaire (mandat d’amener – perquisition) qu’un citoyen avait dû endurer à tort, doivent être bannies de la mémoire et cela à tout jamais. 

Les textes afférents au maintien des décisions d’acquittement violent incontestablement l’article 8 de la Cour européenne des droits de l’Homme, à savoir au respect de la vie privée. 

La notion de vie privée au sens du droit  européen doit être appréhendée sous toutes ses facettes, dans un sens étroit comme dans un sens extensif. (J-F Renucci – Droit européen des droits de l’Homme – 8ème édition page 268)

C’est dans ce contexte qu’il faut citer l’arrêt Marper c/ Royaume-Uni rendu par la Grande Chambre le 04.12.2008.

La Cour européenne avait à statuer dans l’hypothèse où des empreintes digitales et échantillons A.D.N. pris sur une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, pouvaient être conservés lorsque la procédure pénale ultérieure se conclut par un acquittement de l’accusé ou par un non-lieu (J-F Renucci – Droit européen des droits de l’Homme – 8ème édition page 281).

Les acquittés demandaient que les empreintes soient détruites, ce que la police refusait.

La Cour donne raison aux acquittés.

Le sort qui frappe les traces matérielles d’un dossier, à savoir leur destruction, doit s’appliquer à fortiori à la décision même d’acquittement qui est le support des aspects accessoires.

Dans sa motivation, la Cour européenne souligne que le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu et que l’Etat, en passant outre outrepassera nécessairement toute marge d’appréciation…

Il s’agit d’une atteinte disproportionnée du droit au respect de la vie privée qui ne saurait passer pour nécessaire dans une société démocratique.

(CEDH Grande Chambre – 04.12.2008 – Marper c/ Royaume-Uni n°30682/04) 

4) On peut lire avec satisfaction l’article 13 qui prévoit que le Procureur d’Etat peut à tout moment, d’office ou à la demande de la personne concernée, soit ordonner le transfert des informations, P-V ou rapports dans la partie passive du fichier central, voire ordonner que la personne concernée ne puisse plus être recherchée par le biais des données à caractère personnel.

Mais comment et de quelle manière la personne concernée sera-t-elle mise au courant qu’il existe dans le fichier central des informations à son sujet qui pourraient se révéler extrêmement nocives pour sa carrière professionnelle par exemple.

Le législateur devrait prévoir que la personne concernée obtienne copie des données à caractère personnel, et en particulier de tous rapports dressés sur elle et qui n’ont pas connu une suite procédurale et lui donner ainsi l’opportunité de redresser ce qu’elle considèrerait comme d’inadmissibles intrusions.

Les fichiers de police sont et restent, ne fût-ce que par leur caractère secret et sournois, fonctionnant par défaut par rapport aux personnes concernées, une préoccupation majeure dans une démocratie qui ne saurait justifier une ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et à la réputation que si les bases légales la régulant bénéficient d’une densité normative particulièrement élevée.

Ce qui n’est de tout évidence pas le cas.

(voir Gonin – Bigler – Convention européenne des droits de l’homme – sus article 8 page 507)  

Le 14 janvier 2021.

Gaston VOGEL

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