À l’aide d’algorithmes de plus en plus perfectionnés, des milliers de chercheurs, d’ingénieurs de mathématiciens, de statisticiens, d’informaticiens traquent et criblent les informations que nous générons sur nous-mêmes. Des satellites et des drones au regard perçant nous suivent depuis l’espace. Dans les aérogares, des scanners biométriques analysent notre démarche, « lisent » notre iris et nos empreintes digitales. Des caméras infrarouges mesurent notre température corporelle. Les pupilles silencieuses des caméras vidéo nous scrutent les trottoirs des villes ou dans les allées des hypermarchés. Elles nous pistent aussi au bureau, dans les rues, dans l’autobus, à la banque, dans le métro, au stade, dans les parkings, les ascenseurs, les centres commerciaux, les routes, les gares, les aéroports.
Ignacio Ramonet
Nombre de citoyens se résignent, comme une sorte de fatalité de l’époque, à la fin de leur droit à l’anonymat. Une telle indifférence à l’égard d’une de nos libertés fondamentales fait réagir le sociologue Zygmunt Bauman, qui s’écrie: « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’arrivée d’une société de surveillance, mais que nous la vivions déjà sans nous en soucier ». D’un autre côté, le souci de défendre notre vie privée peut paraître réactionnaire, ou « louche », parce que seuls ceux qui ont quelque chose à dissimuler cherchent à esquiver le contrôle public. Les personnes estimant n’avoir rien à se reprocher, ni rien à occulter, ne sont donc pas hostiles à la surveillance de l’Etat.
Ignacio Ramonet
Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une, ni l’autre. Et finit par perdre les deux.
Benjamin Franklin
La fin de la vie privée serait une véritable calamité existentielle.
Hannah Arendt
SACCAGE DE LA VIE PRIVÉE
À l’ère du Web, le contrôle de l’État peut atteindre des dimensions hallucinantes. Parce que, d’une manière ou d’une autre, on l’a dit, nous confions maintenant à Internet nos pensées les plus personnelles et les plus intimes, aussi bien professionnelles qu’émotionnelles. Alors, quand, à l’aide de technologies surpuissantes, l’État décide de passer au scanner notre usage du Web, non seulement il outrepasse ses fonctions, mais il profane notre intimité, désosse littéralement notre âme, et saccage le refuge de notre vie privée.
Sans le savoir, aux yeux des nouveaux « États de contrôle », nous devenons semblables au héros du film The Truman Show, exposé en direct au regard de mille caméras et à l’écoute de mille micros qui exposent notre vie privée à la curiosité planétaire des services de renseignement.
Ignacio Ramonet