Deé chrestlech Werter (2ème suite)

Deé chrestlech Werter (2ème suite)

21 septembre 2016 Non Par Me Gaston Vogel

Tous ces articles qui reposent sur des écrits catholiques, c’est-à-dire puisés intra-muros de la catholicité la plus pure et la plus dure, sont ma contribution au Werteunterricht.

 

LES VERTUS QUI ASSURENT LA BEATITUDE

 

L’obéissance et l’humilité sont deux vertus impérativement requises par une religion dont le but primordial est de dominer le monde.

Ces deux vertus conjuguées favoriseront la naissance de l’homme docile que Lichtenberg eût qualifié de « zahm Geborener ».

 

1.L’obéissance

« L’obéissance est le bijou du chrétien. »

 

C’est la deuxième vertu « cardinale » du christianisme. Elle prend rang illico après la foi. La désobéissance est mise sur le même rang que l’idolâtrie qui, certes, est l’une des plus grandes offenses que l’on puisse faire à Dieu.1 Très tôt le grand idéologue saint Paul avait reconnu l’urgente nécessité de cette vertu. Dès la constitution de l’édifice, il fallait prendre toutes les mesures utiles pour prévenir la moindre velléité susceptible d’ébranler et de compromettre sa solidité.

 

C’est dans « L’Épître aux Ephésiens » que saint Paul jette les bases doctrinales de l’obéissance universelle. Luc 12.47 rappelle les sages propos du divin Sauveur : « Le serviteur qui aura su la volonté de son maître et qui néanmoins ne se sera pas tenu prêt et n’aura point exécuté ses ordres sera battu de plusieurs coups ».2

 

Saint François de Sales insistera lourdement sur cette éminente vertu dans son Introduction à la vie dévote.

Le saint père distingue deux sortes d’obéissance, la nécessaire et la volontaire.

« Pour le nécessaire, dit-il, vous devez humblement obéir à vos supérieurs ecclésiastiques… Vous devez obéir à vos supérieurs politiques, c’est-à-dire à votre prince et aux magistrats qu’il a établis sur votre pays ; vous devez enfin obéir à vos supérieurs domestiques, c’est-à-dire à votre père, mère, maître et maîtresse. Or, cette obéissance s’appelle nécessaire parce que nul ne peut exempter du devoir d’obéir à ces supérieurs-là, Dieu les ayant mis en autorité de commander et gouverner, chacun en ce qu’ils ont charge sur nous…

 

…Obéissez quand ils vous ordonnent chose agréable…

…Obéissez ès choses indifférentes… (par exemple chanter ou se taire, porter tel ou tel habit)…

…Obéissez en choses malaisées et dures. »

Enfin cette suave recommandation empreinte d’une rare impudence : « Obéissez enfin doucement, sans réplique, promptement, sans retardation, gaîment, sans chagrin et surtout obéissez amoureusement pour l’amour du Christ qui, comme dit saint Bernard, aime mieux perdre la vie que l’obéissance ».3

 

Josemaria Escrivá de Balaguer, le fondateur de l’Opus Dei qui nous a laissé 999 aphorismes apodictiques, les uns plus plats et ennuyeux que les autres, écrit dans le 625: « Votre obéissance n’est pas digne de ce nom, si vous n’êtes pas prêt à abandonner votre travail le plus florissant dès qu’une personne d’autorité vous le commande ».

 

L’obéissance dans l’œuvre d’Ignace de Loyola (1491-1556)

La fameuse lettre sur l’obéissance d’Ignace de Loyola constitue le noyau central autour duquel pivotent au sein de l’Eglise les discussions relatives à cette vertu cardinale du christianisme.4

Le fondateur de la Cie de Jésus a développé toute une philosophie sur la question.

Le premier grand principe veut non pas qu’on obéisse au supérieur pour son intelligence ou sa générosité, mais parce qu’il agit comme représentant du Christ. L’obéissant ne doit pas se départir de cette attitude, même si le supérieur n’est pas vertueux.

L’obéissance se mue seulement en vertu, si l’obéissant fait sienne la volonté du supérieur. Ainsi il met sa propre volonté dans les mains du Seigneur !

 

Un degré supérieur de cette vertu veut que l’obéissant ne sacrifie pas seulement sa volonté, mais encore son intelligence, en sorte qu’il ne fasse pas seulement sienne la volonté du supérieur, mais encore sa manière de penser – une coïncidence totale entre chef et subordonné.

 

Trois voies conduisent à cette vertu suprême :

– L’obéissant doit voir le Christ dans la personne du chef ;

– Il doit chercher avec zèle les motifs qui fondent l’ordre donné et non pas ceux qui s’y opposent ;

– Il doit présumer que tout ce qu’ordonne le chef, répond à la volonté divine et par conséquent exécuter l’ordre reçu aveuglément, sans examen aucun, avec l’élan d’une volonté qui se plie à l’obéissance. C’était l’attitude d’Abraham au moment où il voulait immoler le fils. C’est ce qu’on est convenu d’appeler « Kadavergehorsam ».5

*

Voyons à présent la doctrine officielle que l’Eglise enseignait en chose d’obéissance au seuil du XXe siècle qui sera le siècle de la brutalité la plus nue :

« Il importe d’obéir aux supérieurs dès qu’ils soumettent aux subordonnés leur volonté sous forme d’une loi et expriment ainsi le désir de les obliger…

Il est moralement mauvais si les subordonnés refusent de donner suite aux devoirs imposés par les supérieurs, car cette façon d’agir équivaut à un dédain, sinon et à tout le moins à un mépris interprétatif de l’autorité. La diversité des supérieurs qui exigent d’être obéis par les subordonnés ne motive aucune différence dans l’obéissance à laquelle les inférieurs sont tenus, car en étant obéissant on ne rend pas tellement hommage aux supérieurs, on suffit plutôt à une contrainte imposée aux inférieurs…

Le subordonné doit obéir à tous les ordres dont il ne sait pas avec certitude s’ils dépassent les limites de l’autorité du supérieur…

L’obéissance à laquelle se trouve assujetti l’inférieur ne doit pas dépendre de l’intelligence des motifs qui ont pu inspirer la décision des supérieurs ; des erreurs et des imperfections dans le chef des supérieurs ne sauraient affaiblir ou contrarier le devoir d’obéir…

L’obéissance doit au nom de Dieu se faire avec joie et rapidité… et appliquée avec courage… ».6

 

Cette doctrine paulienne qui a fait de l’obéissance une pierre angulaire de l’idéologie chrétienne a joué un rôle particulièrement funeste à l’époque des totalitarismes modernes. Papon pouvait se prévaloir dans son procès de 1998 de ce que la culture d’un fonctionnaire de la France vichyste et catholique était d’obéir sans se poser de questions. Saint Augustin n’avait-il pas commandé que tous ceux qui refusent d’obéir aux lois des empereurs « baillées pour la Vérité de Dieu » subissent un grand supplice. « Une entorse à la règle est admise par saint Thomas. S’il admet qu’un prince païen puisse exercer une autorité légitime sur les chrétiens, il estime que l’Eglise en vertu de sa juridiction sur les fidèles et les convertis peut délier ceux-ci de leur obéissance à l’autorité civile. »7

 

Dans un document capital daté du 28.03.1933 les évêques catholiques appellent les fidèles : « zur Treue gegenüber der rechtmäßigen Obrigkeit und zur gewissenhaften Erfüllung der staatlichen Pflichten ».8

 

En juin 1936 l’évêque Berning d’Osnabrück visite plusieurs camps de concentration. « Er ermahnte die Häftlinge aus religiösem Grund zu Gehorsam und Treue gegen Volk uns Staat, lobte die Tätigkeit der SS – Wachmannschaften und verabschiedete sich mit einem dreifachen « Heil Hitler » ».9

 

Monseigneur Cholet soulignait le 1.9.1941 : « Nous n’avons pas le droit de discuter la personne du chef ni ses commandements. Le subordonné obéit sans chercher ni demander raison… Nous serons, au nom de notre conscience religieuse, les citoyens les plus unis dans la discipline la plus entière ».10

 

Le commandant d’Auschwitz Rudolf Höss légitimait ses sévices en invoquant son devoir d’obéissance vis-à-vis de ses supérieurs. Hitler, son chef, était après tout, le représentant du Seigneur. Höss devait présumer que les commandements du bourreau répondaient à la volonté de Dieu.

 

Dorothee Sölle réfléchissant sur l’obéissance au sein de l’Eglise arrive à la conclusion que « ceux qui s’y prévalaient constamment de l’obéissance étaient ceux pour qui le monde était ordonné avec évidence et immuablement… cet ordre, on l’appelait la création. »11

 

2. La patience

Les saints pères Charles Borromé, Sales, Thomas, etc… exhortent le petit homme à être patient « non seulement pour le gros et principal des afflictions qui lui surviendra, mais encore pour les accessoires et accidents qui en dépendront… qu’il attende avec une entière résignation l’effet que Dieu agréera ; s’il lui plaît que les remèdes vainquent le mal, il le remerciera avec humilité, mais s’il lui plaît que le mal surmonte le remède, qu’il le bénisse avec patience… ».

 

Saint Sales nous révèle dans l’introduction à la vie dévote le mystérieux remède à la souffrance : « quand vous serez malade, offrez toutes vos douleurs, peines et langueurs au service de Notre Seigneur et suppliez-Le de les joindre aux tourments qu’Il a reçus pour vous.

… Ressouvenez-vous que les abeilles au temps qu’elles font le miel, vivent et mangent d’une munition fort amère et qu’ainsi nous ne pouvons jamais faire des actes de plus grande douceur et patience, ni mieux composer le miel des excellentes vertus, que tandis que nous mangeons le pain d’amertume et vivons parmi les angoisses. Et comme le miel qui est fait des fleurs de thym, herbe petite et amère, est le meilleur de tous, ainsi la vertu qui s’exerce en l’amertume des plus viles, basses et abjectes tribulations, est la plus excellente de toutes. »

 

Dans les prônes et les sermons, les curés de campagne instruits par la « méthode de Toul » prêchaient aux fidèles l’amour des souffrances. Ainsi pour le quatrième dimanche après l’épiphanie la sainte réflexion portait sur le bonheur de ceux qui ont la chance de souffrir. « Oui, ceux qui souffrent, mais qui souffrent bien, sont heureux, non seulement par l’espérance de la félicité éternelle, à laquelle ils ont un droit et un droit assuré ; mais ils le sont dès cette vie même, et autant qu’il est possible de l’être ici-bas »…

Comment peut-on oublier que « Dieu en nous affligeant nous fait du bien et qu’il ne nous en peut pas faire davantage en cette vie … que la souffrance… est du bonheur anticipé ».

 

D’où il suit que « ceux qui refusent de souffrir ou souffrent mal, ne peuvent avoir la paix, parce qu’ils résistent à Dieu ».12

« Le vrai chrétien trouve sa force et son soutien dans la soumission aux ordres du Seigneur. Dieu veut que les chrétiens souffrent avec patience les pertes qui leur arrivent ; qu’ils ne s’en prennent qu’à eux-mêmes et à leurs péchés ; et qu’ils s’estiment heureux que des souffrances aussi légères que celles de leur vie aient pour récompense une gloire infinie et éternelle ».13

« En souffrant patiemment les maux ce cette vie, on mérite, on est agréable à Dieu, on amasse des trésors pour l’autre vie. On perd tout par la triste consolation qu’on se procure en répandant des plaintes ; on souffre également et on ne tire aucun fruit de ses souffrances ».14

« Avant Jésus-Christ, les malheurs du genre humain étaient « le scandale de la Providence ». Il était réservé à l’Evangile de nous apprendre le grand art de savoir être malheureux ».15

Nous avons vécu en juillet 1998 (naufrage des scouts catholiques de Perros-Guirec) une triste application de ces principes de pédagogie noire. « Dieu nous les a donnés, Dieu nous les a repris », disaient avec chrétienne résignation les parents des victimes sans s’attarder sur la mort du plaisancier disparu en mer après avoir sauvé deux gosses.

 

Bis Exhortations aux malades et aux moribonds.

Chez la veuve Estienne, rue saint Jacques à Paris, a paru en 1736 le singulier essai d’exhortations pour les états différents des malades dont les confesseurs se serviront utilement, quand ils se trouveront auprès d’eux.

Nous citerons dans la suite sans commentaire plusieurs des exhortations dont l’auteur est A. Blanchard, prieur et seigneur de saint Marc-lez-Vendôme.

Premier cas d’application : lorsqu’il ne paraît aucun danger dans la maladie.

« On m’a donné avis Monsieur de votre maladie et j’y prends trop de part pour ne pas venir aussitôt vous offrir les consolations dont vous pouvez avoir besoin. Le seigneur a jugé à propos de mettre à l’épreuve votre fidélité et l’attachement que vous avez pour lui. Il sonde votre cœur et le met à l’essai par la maladie ; … comme il est le souverain dispensateur des biens et des maux de cette vie et qu’il est de votre devoir de recevoir avec soumission parfaite les coups que sa main porte, vous devez entrer dans les desseins qu’il a sur vous et lui dire … que vous êtes disposé à tout souffrir pour lui obéir et pour lui plaire… ».

Deuxième cas d’application : sur la disposition dans laquelle doit être un malade pendant le cours de sa maladie.

« Un chrétien qui aime Dieu véritablement… demeure toujours ferme et inébranlable dans toutes ses épreuves différentes. Comme il ne souhaite que l’accomplissement de la volonté de Dieu, il est soumis et content quand ses infirmités augmentent, parce qu’il les envisage comme des moyens que Dieu lui fournit pour s’unir plus étroitement à lui, en proportionnant ses souffrances à ses besoins spirituels…

 

Vous êtes travaillé d’une toux violente ; votre poumon est épuisé ; votre estomac rejette les aliments ; vous êtes consumé par une fièvre lente qui vous rend étyque16 ; vous ne pouvez supporter l’usage du vin ; vous êtes tourmenté par une dysenterie cruelle ; en un mot vous vous trouvez accablé sous la multitude des maux qui vous affligent : si vous êtes bien judicieux, vous reconnaîtrez que toutes ces espèces de maladies sont autant de présents que Dieu vous a faits.

Au lieu donc de nous plaindre et de murmurer lorsque la maladie nous attaque, nous devrions… adorer celui qui appesantit sa main sur nous et qui ne nous frappe que pour nous guérir…

La pensée des supplices de l’enfer est très utile à un malade pour l’exciter à souffrir patiemment la violence de ses maux…

Un père de l’Eglise a dit que les souffrances sont aux chrétiens ce que l’eau est aux poissons et comme le poisson s’affaiblit et meurt quand il est en dehors de cet élément, de même le chrétien dégénère et se pervertit quand il est hors des souffrances… quand il les reçoit bien, il devient semblable à l’or, et à la paille quand il les reçoit mal ».

Troisième cas d’application : pour exciter un malade à se confesser, particulièrement quand il a vécu dans le désordre.

« Humiliez-vous profondément aux pieds de sa Majesté. Présentez-lui vols larmes et vos gémissements et priez qu’il ait pitié de vous. Que s’il lui plaît de différer encore de vous appeler à lui, adorez ses desseins et soyez soumis à sa volonté. Servez-vous de ce délai pour vous préparer de plus en plus au compte que vous devez lui rendre… ».

Quatrième cas d’application : pour disposer un malade à la mort.

« Reconnaissez don présentement que c’est par un pur effet de sa charité qu’il vous a réduit dans l’état où vous êtes et qu’il veut que vous expiriez dans les douleurs, c’est par elles qu’il veut vous purifier de plus en plus et vous disposer à une mort chrétienne ».

 

En résumé :

 

  • Saint François d’Assise appelait les afflictions et les maladies ses sœurs et ses chères compagnes.
  • Saint Ignace d’Antioche les nommait ses perles et ses pierres précieuses
  • Saint François de Sales disait un jour avec effusion de cœur que s’il avait quelque chose à désirer, ce serait que la mort fût précédée par une longue maladie.

 

3.L’humilité

Cette vertu se définit dans l’idéologie chrétienne comme la reconnaissance de notre abjection, c’est-à-dire des petitesses, bassesses et vilenies qui font l’homme.

Dès le début, l’Eglise fait inlassablement sentir à l’homme son indignité. Il faut mépriser le corps, et la saleté même, selon saint Jérôme, n’importe pas : « Tu aimes te laver chaque jour ; cette propreté-là, un autre l’appellera ordure ».17 Les Esséniens étaient passés maîtres dans des qualifications similaires. Pour eux l’homme n’était qu’une fontaine de souillure, vautré dans le péché.18

Le christianisme ne cesse de rappeler au petit homme qu’il n’est qu’une ordure, comme le disait avec noblesse saint François de Sales.

« Abaisse le regard sur toi-même ; songe que c’est la pure vérité que tu n’es que le néant, et que si jusqu’à présent tu as été pris pour quelqu’un tu as été dans l’erreur et dans l’aveuglement. Ajoute à cela le poids du pécheur qui te rend digne des châtiments infernaux et de la honte éternelle des démons et avoue que ta part devrait être l’humiliation et la honte, dont la seule acceptation constitue en réalité la vertu de l’humilité. Humilitas, dit St Bernard, est virtus qua homo, verissima sui cognitione, sibimetipsi vilescit,… comme tu n’es que néant et péché tu devras te considérer comme indigne de tous respect et honneur. Prends pour maxime de t’appliquer en tout à être oublié et méprisé, afin d’honorer la destruction de la parole devenue chair ».19

 

Pour Innocent III l’homme n’était qu’un être formé de sperme immonde – et pour Denys le Chartreux un vil vermisseau rempli d’ordure et de saleté.20

Pourquoi Dieu, si plein d’amour et si clairvoyant, a-t-il pu avoir la saugrenue idée de créer une telle vermine ?

 

Ouvrons, avant de conclure, une parenthèse sur le triste sort réservé par la sainte Institution à l’hygiène corporelle. Nous citons sans commentaire le premier volume de l’Histoire des Mœurs paru à l’Encyclopédie de la Pléiade en 1990 aux pages 637 et suivantes : « …la civilisation romaine montra le premier exemple d’une politique sanitaire sociale concertée : les aqueducs amenaient l’eau pure en quantité jusqu’aux agglomérations, des égouts assainissaient des villes jusque-là fort sales et les soins de toilette étaient centralisés dans des lieux publics nombreux ».21

 

« Le rôle des Pères de l’Eglise fut déterminant pour l’évolution des mœurs concernant la toilette en Europe. Devant les excès établis par l’usage romain, et son exemple répandu dans l’Empire, les moralistes chrétiens condamnaient la coutume des bains mixtes et celle des bains chauds qui ramollissaient l’âme. Les Pères de l’Eglise rentrèrent en lutte officielle contre l’usage des bains publics et les soucis de l’aspect extérieur du corps. Selon l’ascétisme religieux le corps devait être sévèrement châtié pour le bien de l’âme en le privant de ce qui pouvait occasionner des plaisirs physiques : boisson, bonne chair, plaisir de l’entretien du corps, bains, etc. Dès l’an 346, la règle de saint Pacôme et la règle de Saint Benoît ne permettaient de bains que dans le strict cas de maladie et, par souci d’ascétisme, même dans ce cas les bains étaient refusés pour certains malades. Saint Augustin permettait aux communautés de nonnes de se baigner une fois par mois, mais à la condition qu’elles se baignent à trois au moins.

Au Moyen âge, l’ascétisme monacal fut parfois encore plus rigoureux à propos des bains :… excommunication à l’intention des laïcs. »22

« … l’ascétisme chrétien, influença suffisamment toutes les classes de la société pour donner l’image d’un Moyen Age qui n’utilisait pas les bains et se lavait peu »23

« La toilette quotidienne des moines est très bien décrite, nous pouvons en reconstituer les différentes opérations. Cet aspect de l’hygiène est très intéressant car les monastères n’étaient pas seulement les lieux où les codes de vie étaient donnés en modèle à tous, c’étaient aussi les lieux d’hébergement normaux des voyageurs aisés, obligés de faire étape en cours de route. L’abbaye de Cluny était à cet usage équipée, en dehors de l’enceinte claustrale, de dortoirs  masculins et féminins comprenant des latrines. Le moine hôtelier assisté par des moines recevait les visiteurs et préparait pour eux feu, lumière, repas, nettoyait les chaussures.

Mais quel était le train quotidien de la toilette à Cluny, qui accordait malgré la rigueur monacale une importance nouvelle à la propreté corporelle ?

La règle exigeait que les moines se rendent tous les jours au cloître pour la toilette qui consistait en lavage du visage et des mains. Trois serviettes pendues au mur étaient à la disposition de la communauté. La première était destinée aux novices, la deuxième aux profès, la troisième réservée aux frères lais. Le samedi était le jour où l’on se lavait les pieds et coupait les ongles des orteils. Les bains étaient rares : deux fois ou trois fois l’an avant Noël et Pâques ».24

 

« Malgré l’activité de recherche des savants et des médecins musulmans comme Avicenne ou Moïse Maïmonide qui firent connaître par leurs traités d’hygiène des notions nouvelles, il faudra attendre le XVIIIe siècle pour qu’apparaissent les hygiénistes : Bernardini, Ramazzini, Johan Peter Franck, et autres. Ils préparèrent les mentalités aux transformations qui se réaliseront à partir du XIXe siècle en matière d’hygiène et d’assistance sociale.

Les « hygiénistes » s’attaquèrent à la « saleté » des quartiers urbains des grands centres d’industriels surpeuplés par l’exode rural, dotant les villes de réseaux d’alimentation en eau potable, de réseaux d’égouts, et d’installations sanitaires publiques ».25

 

Juan de Avila ne cessait de prêcher en Andalousie au milieu du XVIe siècle le mépris du corps : « considère-le, se plaisait-il à répéter à qui voulait l’entendre, comme un fumier couvert de neige, comme quelque chose qui te répugne quand tu y songes ». Ce bon Juan sera proclamé béat en 1894 et depuis 1926 il figure parmi les docteurs de l’Eglise.

 

Faut-il s’étonner qu’une des toutes premières mesures prises après l’expulsion des Arabes d’Espagne fut la fermeture des bains publics. Il y en avait 270 pour la seule ville de Cordoue.

 

ANNOTATIONS

 

1          Dictionnaire Schérer, tome II, p. 515

2          Luc 12.47

3          Ibidem, p.162

4          Alois Muller, Das Problem von Befehl und Gehorsam im Leben den Kirche, Benziger Verlag, 1964

5          Alois Muller, opus, cité pp. 139 et ss.

6          Kirchenlexikon, sub Gehorsam

7          La destruction des Indes, Las Casas, p.34 de l’introduction

8          Christen, N – S., p.61

9          Lewy, 1965, p.193

10        Marrus-Paxton, Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, 1981, p.185 ; Mgr. Cholet, 1.9.1941

11        La conquête féministe de la théologie, p.98

12        Instructions sur les fonctions du ministère pastoral Toul, 1779, tome III, pp. 164 et ss.

13        J. Lambert, eodem, p.321

14        J. Lambert, eodem, p.318

15        Groethuysen, eodem, p.163

16        Etyque (XIIIe) : terme médical, qui se disait d’une fièvre continue amenant une consomption lente (Dict. étymologique de la langue française, O. Bloch, p.240)

17        Piganiol opus cité p.402

18        1 QH.XX 27-34

19        Chenart, première partie, pp. 277 et ss.

19        Guy Bechtel, La chair, le diable et le confesseur, Plon, 1994, p.60

20-25   Histoire des Mœurs, Encyclopédie de la Pléiade, 1990, tome 1, pp. 637 et ss.        

Le pâturage l’an deux mille – Gaston Vogel  – Phi, collection Essais, mars 1999

 

Gaston VOGEL.

 

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