Des devoirs de loyauté et d’impartialité d’un Procureur d’Etat à la lumière d’un procès pénal récent.

Des devoirs de loyauté et d’impartialité d’un Procureur d’Etat à la lumière d’un procès pénal récent.

11 octobre 2017 Non Par Me Gaston Vogel

Les problèmes qui se posent sont d’une extrême gravité et comme la presse ne sait pas reproduire correctement les débats, je me vois obligé de publier les conclusions que j’ai prises à l’audience de la Cour d’appel:

PLAISE À LA COUR D’APPEL :

donner acte à la partie X qu’elle conclut à l’irrecevabilité sinon à la nullité de l’acte d’appel du Parquet ;

RÉTROACTES

Constater :

  1. Le jugement dans l’affaire X fut rendu par le tribunal criminel le 20.12.2016 à 09h00 du matin ;

La décision a quo est longuement motivée en fait et en droit ; l’argumentaire qui s’étend sur 19 pages est on ne peut plus rigoureux ;

La décision fut rendue au terme d’une instance houleuse, souvent empreinte d’une atmosphère hargneuse ;

Les premiers juges manifestaient sans ambages leur animosité à l’encontre de X ; cela ne les a pas empêchés de l’acquitter au terme d’une réflexion de grande clarté et d’objectivité – conforme aux règles qui président à la logique formelle et à l’élaboration d’une décision qui doit être au-delà de toutes considérations de morale et d’esprit partisan.

De telles décisions honorent la justice car elles font que le justiciable n’a pas à désespérer – que bien au contraire il peut compter sur une réflexion saine et « cool » donc non sujette à l’opinion des médias ou à la vox populi.

*

  1. Le jugement du 20.12.2016 a été frappé d’appel par le Procureur d’Etat le même jour, voire quatre heures après le prononcé.

Un tel acte a été posé ab irato, sans réflexion, par pure émotion, en toute subjectivité. Cela se lit comme une vengeance.

Il est intéressant de constater (et cela fait partie des bizarreries de cet acte – du jamais vu dans ma carrière d’avocat) que le Procureur qui a agi si intempestivement sous un coup de colère contre une décision parfaitement motivée a mis huit semaines (soit jusqu’au 13.02.2017) pour accoucher d’un mémoire de motivation qui sans discuter la décision reprend l’essentiel du réquisitoire présenté à l’audience du 22.11.2016.

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EN DROIT :

  1. Le Procureur d’Etat, autorité chargée de veiller, au nom de la société et dans l’intérêt général, à l’application de la loi lorsqu’elle est pénalement sanctionnée, a une obligation d’impartialité. Il est à ce titre logé à la même enseigne que la magistrature assise.

La jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg ne cesse de l’affirmer déjà avant l’arrêt Schiesser c/Suisse du 04.12.1979 (requête n° 7710/76) particulièrement clair à ce sujet :

« L’exercice de fonctions judiciaires ne se limite pas nécessairement au fait de juger. Une analyse littérale donne à penser que l’article 5 paragraphe 3 englobe les magistrats du Parquet comme ceux du siège. »

Nous lisons dans la Recommandation REC (2000) 19 du Comité des Ministères sur le rôle du Ministère Public dans le système de justice pénale.

  1. Le Ministère Public joue un rôle déterminant dans le système de la justice pénale ;
  1. Dans l’exercice de sa mission, le Ministère Public doit notamment agir de façon équitable, impartiale et objective. – Respecter et faire protéger les droits de l’homme tels qu’ils sont énoncés par la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.
  1. L’équité de la procédure est consacrée par l’article 6 § 1 et son importance est considérable puisqu’elle a tendance à englober l’ensemble des garanties de cet article sous la notion plus générale de procès équitable. (Renucci, n° 414).

Or l’acte d’appel du Parquet est incontestablement soumis aux impératifs dans l’équité de la procédure. 

  1. La loi et la jurisprudence attendent du parquetier qu’il adopte la démarche des magistrats du siège.

Elles le sollicitent à dépasser sa qualité de partie pour raisonner en magistrat.

Elles lui assignent un devoir de loyauté et d’impartialité.

Dans son ouvrage sur l’impartialité du magistrat en procédure pénale, Sylvie Josserand écrit sub 200 :

« Le législateur attend du parquetier qu’il s’attache durant la phase du jugement à suivre le raisonnement impartial imposé aux membres de la juridiction. Il est sollicité de se livrer aux côtés du juge de jugement à une démarche de remise en cause caractéristique de l’impartialité. Il doit faire prévaloir sa qualité de magistrat sur sa qualité de partie. »

  1. Le droit à l’impartialité des organes judiciaires lato sensu (comme on vient de le voir) est la condition sine qua non du procès équitable qui est le fondement même de la CEDH.

C’est en cela que se distinguent les régimes autoritaires des régimes démocratiques.

L’impartialité se présente comme une notion universelle et immuable. Il s’agit tout simplement d’un IUS superior.

Dans ses lettres sur la magistrature de l’ordre judiciaire Serel-Desforges écrit déjà en 1838 : « en l’absence d’impartialité… la justice ne serait qu’une désolante déception ».

Merlin renchérit : « avant d’opiner dans une affaire quelconque, le magistrat doit être assuré qu’il n’existe au fond de son cœur, ni passion, ni affliction particulière pour aucune des parties. Les Anciens, en représentant Themis un bandeau sur les yeux et une balance dans la main, nous ont donné une juste idée du véritable caractère d’un magistrat ». (Rép. universel et raisonné de jurisprudence, sub V° Juge, Tome VIII, 1827).

Montesquieu écrit dans « De l’esprit des lois » (livre 1er chapitre 1) que le magistrat doit être très délicat.

Or l’acte d’appel fait dans un mouvement de colère, de déception, ne fait que traduire une totale indélicatesse et est à l’opposé de tous les principes qui doivent présidence à une justice saine et équitable.

Il est au demeurant de jurisprudence constante de la CEDH que la notion de procès équitable ne concerne pas seulement la procédure devant un tribunal, mais plutôt la procédure dans son intégralité jusque et y compris l’exécution de la sentence. 

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  1. Ces principes philosophiques qui ont pour eux l’évidence ont très tôt trouvé écho dans la législation qui règle la procédure à suivre dans l’élaboration d’une décision judiciaire et dans la mise en cause d’une telle décision par l’exercice d’une voie de recours.

Un raisonnement a pari s’impose à partir de la lecture de l’article 576 du Code de procédure civile qui prévoit qu’un appel d’un jugement non exécutoire par provision ne pourra être interjeté dans la huitaine à dater du jour du jugement sous peine d’irrecevabilité de l’appel.

Soulignons pour être complet que dans le silence du Code de procédure pénale il faut recourir aux règles du Nouveau Code de procédure civile qui établit le droit commun en la matière (C.A. 22.11.1961, n° 18399 – C.A. 18.01.1991, n° 7/91).

Abstraction faite de la question de savoir si l’article 576 du Code de procédure civile s’impose en procédure pénale et s’il prime l’article 203 du C.I.C, il tombe sous le sens que la philosophie du « droit commun » qui se dégage de l’article 576 du Code de procédure civile ne fait que traduire un principe de haute équité – un principe sacro-saint qui postule à lui seul toutes les exigences qui entourent les garanties requises pour qu’une procédure quelconque se déroule dans la plus parfaite impartialité.

Les auteurs de l’article de « droit commun » qu’est l’article 576 écrivent dans l’exposé des motifs : « La loi ne veut pas qu’un appel soit tardif, elle ne veut pas davantage qu’il soit précipité. La loi exige qu’il s’écoule au moins une huitaine de jours entre la prononciation du jugement et l’appel, afin qu’il soit l’œuvre de la réflexion et non de l’humeur. »

Bergson écrit : « Il n’y a rien de plus opposé à la justice que le sentiment. »

Il se dégage des considérations de droit et de fait qui précèdent que le Procureur d’Etat en frappant d’appel une décision à peine rendue a posé, pour rester dans le langage de Bergson, « un acte tout à fait opposé à la justice ».   

Cet acte d’appel suinte le sentiment, la colère, la déception.

Le Procureur d’Etat appelé par son statut à être loyal et impartial a pour devoir essentiel de respecter les droits de l’individu et la dignité de la justice.

Pierre BOUZAT – Mélanges Hugueney, 1964, p.172.

Sylvie Josserand – L’impartialité du magistrat en procédure pénale, LGDJ, 1998, 316 et ss.

CONCLUSION :

Un acte d’appel fait dans les conditions nauséeuses décrites ci-dessus viole « l’Ordre supérieur juridique » qui fait la charte fondamentale des Droits de l’Homme – un Ordre qui prohibe d’une manière radicale toutes fantaisies et arbitraires.   

Le droit à une bonne justice est une exigence fondamentale qui implique le respect d’un certain nombre de garanties qui sont détaillées dans l’article 6 de la Convention qui précise ce que doit être tout procès équitable. (Droit européen des Droits de l’Homme, 7e édition, Jean-François Renucci, p.463).

Le justiciable doit bénéficier d’une justice de qualité dans laquelle il puisse avoir confiance. (EODEM p.464).

SANCTION :

L’irrecevabilité d’un tel acte s’impose alors que le droit commun de la procédure inscrit à l’article 576 du Code de Procédure civile prohibe implicitement un appel fait ab irato.

L’article 6 de la CEDH, qui se présente comme instrument constitutionnel de l’ordre public européen (EODEM p. 399), sanctionne a fortiori tout acte susceptible de porter atteinte à l’équité du procès sinon les principes en discussion se réduiraient à normes de pure « décoration judiciaire » sans valeur, ni consistance réelle. 

Même si la justice des hommes et par essence relative, tout doit être fait pour que celle-ci soit rendue de la manière la plus satisfaisante possible et en sauvegardant les apparences dont l’importance est de plus en plus affirmée par la Cour de Strasbourg. Il s’agit d’un droit fondamental (EODEM p. 399) qui a valeur constitutionnelle.

L’irrecevabilité sinon la nullité de l’acte d’appel est la seule façon de satisfaire à l’article 41 qui prévoit que toute violation de la Convention autorise une demande de satisfaction équitable. – Il échet de l’accorder maintenant au lieu d’attendre que la Cour Européenne des Droits de l’Homme ait à s’en occuper.

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