LE KRAUTMAART À LA MERCI DU GAFI

20 septembre 2021 Non Par Me Gaston Vogel

« Waät sëet de GAFI ??? »

Permanente obsession de nos honorables quand ils s’apprêtent à voter un texte qui, de près ou de loin, pourrait générer, ne fût-ce qu’un questionnement chez le GAFI. C’est ce qu’on appelle souveraineté nationale.

Le 15.07.2021 fera date dans l’histoire législative au pays de Marie.

Elle porte réforme du CRF – Cellule de renseignement financier, ayant pour mission de recevoir et d’analyser les déclarations d’opérations suspectes, susceptibles de relever du blanchiment.

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Notons d’emblée que personne ne met en doute la nécessité de lutter constamment contre le sinistre monde des « blanchisseurs ».

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La question n’est pas là.

Les vraies et inquiétantes interrogations se situent à deux niveaux.

1er niveau :

Nous allons voir que la CRF est désormais au sein de l’Etat un véritable électron libre qui ne connaît pour toute orbite que celle d’un organisme international connu sous le nom de GAFI.

La CRF est extra muros.

Elle fait ses propres lois – n’a de compte à rendre à personne – ses décisions sont sans recours.

La seule relation qu’elle maintient avec l’Etat, c’est qu’elle bouffe l’argent des contribuables.

A ce jour, on n’a pas connu une telle perversion dans la structure de l’Etat luxembourgeois.

2ème niveau :

À la lecture de certaines dispositions de la loi du 15.07.2021, on tombe sur des formulations qui sortent du glouc glouc des marais et dont la mise en œuvre ouvre toutes grandes les portes à l’arbitraire.

Ces formulations font fi de tous les principes sacro-saints du Droit pénal et constituent une véritable provocation.

Quant au niveau 1 – La CRF et ses Avatars

Notre analyse démarre avec l’examen de la loi du 12.11.2004 relative à la lutte contre le blanchiment, modifiant l’article 13 de la loi du 07.03.1980 sur l’organisation judiciaire.

Pour ne pas alourdir notre exposé, nous faisons abstraction de tous les antécédents.

La loi du 12.11.2004 était respectueuse, sur ce point au moins, des principes les plus élémentaires du Droit public.

Elle l’était beaucoup moins sur d’autres, bien plus sensibles encore, où elle organise la délation in catimini du client aux autorités.

Une horreur.

Loi du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme

Art. 5. L’obligation de coopérer avec les autorités.

(4)  La divulgation de bonne foi aux autorités luxembourgeoises responsables de la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme par un professionnel ou un employé ou dirigeant d’un tel professionnel des informations visées aux paragraphes ci-dessus ne constitue pas une violation d’une quelconque restriction à la divulgation d’informations imposée par un contrat ou par un secret professionnel et n’entraîne pour le professionnel ou la personne concernée aucune responsabilité d’aucune sorte.

(5)  Les professionnels ainsi que leurs dirigeants et employés ne peuvent pas communiquer au client concerné ou à des personnes tierces que des informations ont été transmises aux autorités en application des paragraphes (1), (2) et (3) ou qu’une enquête sur le blanchiment ou le financement du terrorisme est en cours.

Ces textes donnent la chair de poule.

« UMWERTUNG DER WERTE »

Ce texte a-t-il vraiment été lu par ceux qui l’ont voté ?

Inouï !! 

Aux termes de la loi de 2004, Le Procureur d’Etat fut habilité à constituer au sein du Parquet une « cellule de renseignement financier » ayant la mission ci-dessus définie.

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Cette loi fut abrogée par une telle du 10.08.2018.

L’article 14-1 de cette loi institue sous la surveillance administrative du Procureur Général d’Etat, une cellule de renseignement financier en abrégé CRF qui comprend un groupe de substituts.    

La loi précise que la CRF est opérationnellement indépendante et autonome.

Elle a l’autorité et la capacité d’exercer librement ses fonctions.

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La loi du 15.07.2021 modifie celle de 2018 en éliminant le Procureur Général comme surveillant administratif de la CRF.

Plus de place ni pour le Procureur d’Etat, ni pour le Procureur Général d’Etat.

La CRF est ainsi consacrée électron libre.

Elle n’est plus soumise à aucune autorité, aucun contrôle, elle vit sa vie propre, sans avoir à rendre compte à quiconque – ses décisions baignant dans le secret absolu sont sans recours.

Cela est qu’on le veuille ou non un pur scandale.

La cellule a pour seul patron un organisme international connu sous le nom de GAFI (Groupe d’action financière, créé en 1989 lors du G7 siégeant à Paris).

Le GAFI, dont le Luxembourg fait partie, est appelé à élaborer les mesures de lutte contre le blanchiment.

Il a pour mission de surveiller les progrès réalisés par ses membres dans la mise en œuvre des mesures requises.

Il est su qu’il est aux mains des Yankees et du Canada.

Le GAFI est de facto le tuteur de la CRF et dans une autre mesure de notre législateur, à qui il soumet, sous forme d’Oukases, ses recommandations.

Dès que la recommandation se trouve déposée au pupitre du Président des Chambres, on se hâte à s’y conformer, même si par-là, les principes sacro-saints qui font notre si belle démocratie vont voler en éclats, le tout selon le principe pragmatique qu’il vaut mieux violer les règles élémentaires et fondamentales que de risquer de se retrouver au pilori des Etats pourris.

La loi du 15.07 en est une parfaite démonstration.

La CRF peut sous certaines circonstances (qu’elle seule apprécie sans recours) refuser de transmettre des informations aux autorités du pays.

C’est un comble, mais qui ne semble émouvoir personne.

Après un bref gémissement « Waët soll wir dann machen », nos honorables remballent, tournent la page et continuent à ennuyer le monde avec leurs platitudes coutumières.

Cela montre à quel point le petit monde du Krautmaart est sans caractère, sans charisme, sans ressort et surtout sans courage.

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2ème niveau – Les termes obscurs

La CRF est compétente pour disséminer et analyser tout ce qui de près ou de loin  serait en rapport avec le blanchiment y compris « les infractions sous-jacentes associées ».

C’est quoi ce truc ?

La loi de 2018 en donnait encore une définition.

Elle précisait que ce sont les infractions visées par l’article 506-1 point 1 du Code pénal et de l’article 8 paragraphe 1 de la loi modifiée sur la vente des substances médicamenteuses.

Cette définition a disparu dans la mouture de 2021.

En refusant de maintenir l’ancienne définition, le législateur a mis en place une usine à gaz juridique.

Nous sommes en droit pénal et aucune éclipse des droits fondamentaux n’est tolérée.

Ce droit supporte moins que tout autre les solutions choquantes ou arbitraires et ne s’accorde pas de fictions.

C’est le propre des régimes totalitaires de favoriser des interprétations par analogie.

Avec une nébuleuse pareille, le juge appelé à rendre le droit est dans la totale impossibilité de statuer et le citoyen, qui ne sait plus où donner de la tête, est menacé dans ses droits les plus rudimentaires.

Il n’est pas bon de vivre dans un pays qui connaît de telles aberrations.

Pourquoi le législateur a-t-il agi d’une manière si irréfléchie en votant des textes ténébreux, clairs comme du jus de boudin ?

Comment est-il possible que de pareilles ignominies puissent germer dans le cerveau de ceux-là mêmes appelés à faire en sorte que les choses élémentaires restent intouchées, alors que ce sont les pierres angulaires de tout un édifice qu’on a péniblement construit au fil des ans ?

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Conclusion

S’il est vrai que la politique est le seul métier pour lequel aucune préparation n’est jugée nécessaire (Robert Louis Stevenson), il faut pourtant présumer que ceux qui se présentent aux élections ne sont pas tous des albinos de concepts rudimentaires et qu’ils ont périodiquement des lueurs de raison et refusent d’avaler toutes les couleuvres que des commis ont mises sur leur menu.

Malheureusement, nous sommes loin des temps où de grands charismatiques dominaient les débats : Margue, Krieps, Zurn, Vouel, Thorn, pour ne mentionner que quelques-uns.

Voter de telles bourdes que celles faisant l’objet de la présente analyse ne leur serait pas arrivé.

Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ?

Le 20 septembre 2021

Gaston VOGEL

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