Lettre au Procureur Général d’Etat concernant l’expertise judiciaire du 21.02.2012

Lettre au Procureur Général d’Etat concernant l’expertise judiciaire du 21.02.2012

21 février 2012 Non Par Me Gaston Vogel

Monsieur le Procureur Général d’Etat,

Je me dois de Vous ressaisir d’une gravissime évolution en matière d’expertise judiciaire.

1. Un nombre considérable d’experts qui figurent sur le tableau des experts assermentés, sont des consultants régulièrement désignés par les compagnies d’assurances, sociétés commerciales intéressées à obtenir des calculs a minima. Après tout le bénéfice est leur seule finalité.

Ces experts ambigus continuent à être nommés par nos juridictions.

Des avocats innocents et intéressés (ils ne veulent pas perdre la confiance des assureurs, leurs clients) acceptent ces nominations.  C’est lamentable.

A ce jour, ni le Conseil de l’Ordre des Avocats, ni le Collège médical n’ont eu une seule réaction critique.  Là, les choses semblent acceptées.

Chaque expert devrait, avant d’être admis à l’assermentation, déclarer qu’il est libre, indépendant, impartial et qu’il n’est soit pas consultant, soit pas avocat d’une compagnie d’assurances.

2. Ce qui est vrai pour les médecins ne l’est pas moins pour les avocats experts. Là, même problème.

Un avocat qui plaide régulièrement pour une compagnie d’assurances, quelle qu’elle soit (les problèmes indemnitaires sont les mêmes pour toutes) n’est pas suffisamment libre pour faire des expertises impartiales.  Il doit, en effet, toujours avoir à l’œil l’intérêt des assureurs et avoir peur du petit doigt qui pourrait se lever comme avertisseur.

Qu’on ne vienne pas me dire que cela est exagéré car alors se pose la question de savoir pourquoi Maître X, qui est un expert indépendant et connu pour son approche humaine des questions indemnitaires, est constamment refusé par les assureurs.

Il suffit de le proposer pour que le rejet soit immédiat.

Les compagnies d’assurances cherchent désormais leur bonheur en puisant dans le vivier arlonais et messin.  De là surnagent de nouveaux petits prodiges.  Seraient-ils déjà inscrits sur la liste des experts judiciaires ?

Cela devient insupportable, ce d’autant plus qu’aucune juridiction ne réagit de manière appropriée.  La chienlit continue !

3. A cette misère, s’en ajoute une autre.

Désormais, les consultants sont autorisés à peser par leur présence sur le déroulement des expertises.

Chacun peut supposer ce qui se passe après l’entrevue.  Le consultant téléphone à l’expert – on prépare les conclusions – on est après tout entre « techniciens ».  Personne ne saura ce qui se mijote post festum.  Souventes fois nous avons dû constater que le consultant restait avec l’expert quand les parties avaient quitté les lieux.

Que faire contre de fausses évaluations en présence d’une jurisprudence horripilante psalmodiée dans toutes les décisions et qui veut que des Juges ne doivent en principe pas s’écarter des conclusions des hommes de l’art ?  Ce ne sont donc pas des avis, mais des diktats !

Une ordonnance pernicieuse a été récemment rendue en ce domaine par le Conseiller Y, qui ne voit aucun inconvénient à ce que le tiers consultant assiste aux opérations d’expertise.  Il a tort d’admettre que cela ne dérange pas l’intimité de la victime.  Je Vous joins toute la documentation.  Il faut y remédier.  La victime n’a pas à subir, lors des opérations d’expertise, l’interrogatoire d’un tiers médecin à l’affût d’une faiblesse.  Elle est suffisamment éprouvée et fragilisée par le sinistre qui s’est abattu sur elle.

Si cela ne devait pas cesser, je me verrais obligé de porter le problème à la connaissance du grand public.  J’en ai marre.

Heureusement qu’il s’est trouvé un magistrat qui a eu une saine appréciation des choses.  En annexe, l’ordonnance de Madame Z du 31 octobre 2011 dans une affaire similaire.  Elle mérite notre plus profond respect car elle a tout compris.

Recevez, Monsieur le Procureur Général d’Etat, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

Gaston VOGEL

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