SOLSTICE D’HIVER

SOLSTICE D’HIVER

1 décembre 2020 Non Par Me Gaston Vogel

Planche prononcée en Loge le 10.01.1969

Précédée du 3ème mouvement du Quintette de Brahms et suivie par le 1er mouvement des 4 saisons de Vivaldi.

« Chaque année vers le 10.01, j’observe avec émotion que les jours se font sensiblement plus longs… et chaque année, je me souviens que j’ai lu une fois qu’à une date bien précise, je crois vers le 31.12, le printemps reprend aux racines de la Terre. »

À l’époque où il m’a été donné de lire cette touchante réflexion de Gottfried Benn, je ne savais pas que des amis devenus des frères se réuniraient chaque années vers le 10.01 pour célébrer en une tenue solennelle la renaissance de la nature.

Ce fut avec une conscience bienheureusement terrestre que j’assistai en 1965 pour la première fois à cette grande fête maçonnique qui nous invite à une intégration joyeuse et totale dans l’ici-bas où nous sommes environnés de devoirs, d’attentes et d’avenirs.

Je garderai toujours à la mémoire le moment grandiose où le Vénérable Maître s’adressait en ces termes à la loge : « Puisqu’il est minuit et que nous avons une mission à accomplir, veuillez annoncer aux frères qui décorent vos colonnes que nous allons procéder à la Célébration du Réveil de la Nature ».

*

Au solstice d’hiver, lorsque le soleil rougeoyant dépasse à peine l’horizon, nos ancêtres brûlaient sur les collines le sapin vert de l’espérance.

« Il y a des millénaires déjà en des lieux élevés de nos régions, ce jour était fêté alors que le soleil naissant coiffait d’un casque d’or la pointe du Menhir dans les lieux du Culte Celtique.

À Babylone, on fêtait au solstice d’hiver le retour d’Ishtar, la déesse de l’amour et de la fécondité.

À minuit quand les étoiles au firmament brillaient de tout leur éclat, les magiciens vêtus de robes pourpres, portant des torches allumées, faisaient cercle autour de la plus belle vierge de Babylone qui par un escalier monumental, portée par l’adoration muette de la foule – entreprenait l’ascension de la Zigourat.

À pas mesurés, elle devait parcourir les sept étages de l’Etemenanki, prenant exemple sur Ishtar qui avait forcé les sept portes de l’enfer.

La vierge montait toujours sous les tambours battants des eunuques – s’arrêtant à chaque étage, elle enlevait successivement ses ornements – diadème, boucles d’oreille, collier, bracelets, les plaques qui couvraient sa poitrine ; en dernier lieu, elle laissait tomber la ceinture enroulée autour des reins.

Arrivée au dernier étage, les prêtres la dépouillaient du voile de l’innocence et c’est entièrement nue qu’elle pénétrait dans le sanctuaire au sommet de la Ziggourat.

La plus belle vierge de Babylone passait toute la nuit dans le sanctuaire célébrant ses épousailles avec la Terre.

La reine Shammaramath dictait un jour à son scribe : « Malgré mes nombreuses obligations, celles de mon régime et celles de mes conquêtes, j’ai trouvé du temps pour participer à la fête d’Ishtar et mon corps a éprouvé d’abondantes joies ».

*

Les Aztèques fêtaient le solstice d’hiver comme les chrétiens célèbrent Pâques.

C’était la fête du Seigneur au Miroir fumant, fête la plus importante de toutes qui avait lieu lors du premier passage solaire par le Zénith.

En cette occasion, Tezcathipoca, le dieu du soleil, sacrifié en la personne d’un prisonnier allait renaître.

Les rituels de renaissance étaient d’une rare richesse symbolique.

« Pendant cette fête, on immolait un jeune garçon très beau qui avait été choyé pendant un an : on disait que c’était l’image de Tezcatlipoca.

De tous les captifs, on choisissait les plus avenants et on veillait à ce qu’ils fussent intelligents, bien tournés et sans tache corporelle aucune.

Ceux qui étaient destinés à mourir durant cette fête, étaient éduqués avec des soins extrêmes, on leur enseignait à jouer de la flûte et à se promener avec les roseaux à fumée et les fleurs ainsi que le faisaient les dirigeants et les nobles.

Vingt jours avant la fête, on le mariait à quatre vierges qui vivaient avec lui durant les jours qu’il restait à vivre.

Cinq jours avant la fête, il était adoré comme un dieu.

Le roi restait seul chez lui et on donnait en son honneur des banquets et des bals solennels.

La quatrième fête achevée, il montait avec ses femmes dans une barque couverte où le roi avait coutume de se promener… et se dirigeait vers une petite colline : là, ses femmes l’abandonnaient et il restait avec les pages qui l’avaient accompagné toute l’année durant.

On l’emmenait alors à un modeste petit temple…

Arrivé près du temple, il gravissait seul l’escalier ; sur la première marche, il cassait une des flûtes avec lesquelles il avait joué au temps de son bonheur, sur la seconde il en cassait une autre et ainsi de suite jusqu’à les achever.

Une fois sur le sommet du sanctuaire, les sacerdoces s’emparaient de lui et celui qui tenait le couteau en pierre le lui enfonçait d’un grand coup dans la poitrine, le ressortait, mettait sa main par l’ouverture faite par le couteau et lui arrachait le cœur pour l’offrir au Soleil »…

*

Le Naurôz – Le nouvel An Persan – commémorait le jour où eut lieu la Création du Monde et de l’Homme.

C’est le jour du Naurôz que s’effectuait le renouvellement de la création.

Le roi proclamait : « Voici un nouveau jour d’un nouveau mois d’une nouvelle année : il faut renouveler ce que le temps a usé ».

Au Naurôz les Persans abolissaient le temps profane pour réintégrer le moment mythique où le monde était venu à l’existence, baignant dans un Temps pur, fort et sacré.

Le Monde qui avait existé durant toute une année disparaissait.

Le Cosmos était annulé et Marduk forcé de le recréer après avoir de nouveau vaincu Tiamat.

Les Persans réactualisaient ainsi chaque année ce qui se passait in illo tempore au moment où le monde était in statu nascendi.

*

Les exemples qui précèdent montrent que la fin de l’année et le début de l’année nouvelle donnaient lieu depuis la plus haute antiquité et dans toutes les régions du globe à un ensemble de rites dont la substance peut être résumée dans le schéma suivant :

Purgation – purifications – confession des péchés – extinction et rallumage des feux

Réception cérémonielle des mort que l’on régale à des banquets et qu’on reconduit à la fin de la fête à la limite de la localité jusqu’à la mer, jusqu’au ruisseau ;

Saturnales et orgies ;

Ces scénarios rituels qui marquent la fin de la vieille année et le début de l’année nouvelle sont chargés d’une profonde signification.

Chacun d’entre eux poursuit – dans sa perspective et sur son plan propre – l’abolition du temps écoulé durant le cycle qui s’achève.

Les masques qui incarnent les ancêtres, les âmes des morts qui visitent cérémoniellement les vivants, sont le signe que les frontières sont abolies et remplacées par la confusion de toutes les modalités.

Dans cet intervalle paradoxal entre deux temps la communication devient possible entre les vivants et les morts.

L’homme en abolissant le présent s’efforce de rejoindre l’illud tempus, le Temps de l’Origine, c’est-à-dire l’instant où est apparue la plus vaste réalité, le Monde.

En participant rituellement à la fin du Monde et à sa recréation, l’homme devient contemporain de l’illud tempus ; il ____ de nouveau, il recommence son existence avec la réserve intacte de forces vitales telle qu’elle était au moment de sa naissance.

Cette volonté d’abolir le temps se découvre plis visiblement encore dans « l’orgie » qui a lieu suivant une échelle très variée de violence à l’occasion des cérémonies de nouvel an.

Comme les semences qui perdent leur contour dans la grande fusion souterraine, se désagrégeant et devenant autre chose, les hommes perdent dans l’orgie leur individualité, se fondant dans une seule unité vivante.

C’est ainsi que se réalise une confusion pathétique et définitive où l’on ne peut plus distinguer ni forme, ni loi.

On expérimente de nouveau l’état primordial, préformel, chaotique – état qui répond dans l’ordre cosmologique à l’indifférenciation chaotique d’avant la création – pour promouvoir par la vertu de la magie imitative la fusion des germes dans la même matrice tellurique.

L’homme se réintègre dans une unité biocosmique.

L’orgie rend en même temps possible et prépare le « renouvellement », la régénération de la vie.

Le réveil d’une orgie peut être assimilé à l’apparition de la pousse verte sur le sillon : c’est une vie nouvelle qui commence et pour cette vie, l’orgie a rassasié l’homme de substance et d’élan.

L’homme régresse provisoirement à l’état amorphe, nocturne du chaos pour renaître avec plus de force dans sa forme diurne.

Nous identifions ici le désir de l’homme de répéter le geste primordial : la création qui organise le chaos.

Le déchaînement de la licence, la violation de toutes les interdictions, la coïncidence de tous les contraires, n’ont d’autre intention que la restauration de l’illud tempus primordial, qui est à la fois le moment mythique du commencement et de la fin.

*

Une fois l’an donc, le temps ancien, le passé, l’histoire au sens actuel du terme, est aboli.

L’homme aspire à recommencer une vie nouvelle au sein d’une Création nouvelle.

Ce besoin de régénération totale du temps se retrouve partout.

Nous lisons dans l’Exode, qu’au tournant de l’année avait lieu la lutte de Jahvé avec Rahab, la défaite de ce monstre marin par Jahvé et la victoire sur le Eaux qui équivalait à la répétition de la création des mondes et en même temps au salut de l’homme.

Cette hantise de la régénération qui se dégage de tous les scénarios rituels du Nouvel An, se traduit dans le Mythe de l’Eternel Retour.

Nous retrouvons chez l’homme à tous les niveaux le même désir d’abolir le temps profane et de vivre dans le sacré.

Mieux encore, nous nous trouvons en face d’un désir et d’une espérance de régénéré le temps dans sa totalité, c’est-à-dire de pouvoir vivre humainement, historiquement – dans l’éternité, par la transfiguration de la durée en un instant éternel.

*

Si les fêtes du Nouvel An traduisent ainsi l’angoisse de l’Homme devant le temps et sa nostalgie de l’éternité, elles expriment aussi son ardent désir de réintégrer le grand centre, la grande Unité dont il est issu : la Terre.

C’est la nostalgie des origines.

Au solstice d’Hiver qui annonce l’imminente résurrection de la Vie végétale, l’homme se réconcilie avec la Terre, sa mère, comme il est dit au Rig-Veda « la pamméter Gé ».

C’est la terre que l’homme chante au Solstice d’Hiver, cette terre dont le « cœur d’or » va bientôt s’embraser.

De quelle densité seront riches ces heures de printemps où nous connaîtrons à nouveau la joie de ce qui dure, où subitement en l’espace de quelques secondes la vie rejaillira dans les veines, que remontera en nous irrésistiblement l’ardent désir d’étreigner la Terre et qu’un sentiment d’intériorité, d’appartenance universelle nous rendra ivre d’existence.

C’est à ces instants rares que nous prépare le solstice d’hiver, à ces instants où il sera donné à l’homme de déchiffrer dans le rythme de la végétation le sens profond de sa vie, de réaliser que la vie est la même partout, de sentir confusément que le Soleil, la Lune, les étoiles, les animaux, les plantes ne sont que des noms différents pour des points différents dans le même immense océan.

Le solstice d’hiver nous invite à épeler le grand livre de la Terre, pour citer cet inoubliable chantre de la Terre que fut Federico Garcia Lorca, à apprendre l’eau, les épis, les peupliers, les fruits, le ciel !

À percevoir la rumeur des étoiles, le parler des pierres et l’haleine des montagnes.

Le solstice d’Hiver est notre fête par excellence.

Elle nous apprend que l’homme n’est qu’une simple projection énergétique de la même matrice universelle et que sa mort sera une reprise de contact avec la source de la vie universelle, un changement de modalité, un passage à un autre niveau.

Souvenons-nous, mes frères, que du cadavre de notre maître HIRAM avait surgi une branche d’acacia.

Rien ne meurt réellement, tout se réintègre dans la matrice primordiale et se repose dans l’attente d’un nouveau printemps.

*

Puisque les saisons nous invitent à participer au rythme planétaire, sachons en profiter, mes Frères, pour nous abandonner à de saines émotions.

Comme l’Aurore monte invinciblement et annonce la clarté du Jour, formulons en silence, dans les profondeurs de notre Moi et avec ferveur, des Vœux de Bonheur et de Prospérité pour nos frères et

ESPERONS

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail