
LE BOUC EMISSAIRE À GAGES
En cas de cataclysme, de famine ou d’épidémie, les vieux réflexes anthropologiques reparaissaient : il fallait apaiser les dieux, les offrandes ordinaires ne suffisaient plus. On cherchait un responsable, on trouvait un bouc émissaire.
Ainsi, après le grand tremblement de terre qui ravagea en 1923 Tokyo et Yokohama, la foule massacra des Coréens immigrés – et des libres penseurs notoires.
Jadis, dans une région affligée par une catastrophe, on pouvait aller jusqu’à immoler un substitut de l’empereur : le souverain primitif est là pour payer de sa personne en cas de malheur du peuple, comme Œdipe expiant la peste de Thèbes.
Mais l’empereur fut très vite réputé innocent de tout, sa souveraineté s’exerçait sans pouvoir réel, on pensait à lui comme à un précieux enfant qu’il faut aider et servir, non comme à un maître autoritaire, tenu pour responsable à la mesure de sa puissance.
La culture japonaise n’explora pas très avant les voies de révolte politique ouvertes par ce type de sacrifice dont Louis XVI, parmi tant d’autres, fut victime.
On s’orienta plutôt, dans l’ancien Japon, vers une solution professionnelle, il y eu des spécialistes de la responsabilité qui formaient la corporation héréditaire des Imibe, la guilde du tabou.
Pour garantir, nous disent les sources chinoises du IIIème siècle, la réussite d’une entreprise périlleuse, par exemple un voyage en haute mer, une traversée de l’archipel au continent, on n’engage un homme qui se soumet aux interdits les plus stricts, qui jeune en silence dans l’obscurité.
En cas de succès, on le récompense, en cas de malheur, la faute retombe sur lui, on le tue.
Garantie plus aléatoire qu’un contrat de la Lloyd’s.
Aux temps historiques, cette profession de bouc émissaire à gages déclina, disparut.
Maurice Pinguet – La mort volontaire au Japon.
Le 28 février 2019.
Gaston VOGEL





