Deé chrestlech Werter (1ère suite)

Deé chrestlech Werter (1ère suite)

19 septembre 2016 Non Par Me Gaston Vogel

UN SALE ESPOIR : LE CIEL – LA RATIONALISATION DU SADISME SELON RUSSELL

 

Le célèbre cardinal Bellarmin, contradicteur de Galilée, désirait si vivement se trouver au ciel, près de Dieu, que souvent il prenait une partie de sa peau entre les deux doigts en disant : « Que fais-tu, chair corrompue, toi qui es la nourriture des vers ? Pourquoi retiens-tu mon âme si longtemps ? Brise-toi donc, met fin à cette vie, afin que mon âme puisse quitter ce monde.

 

Le ciel est réservé à ceux qui meurent en état de grâce, mais n’y entrent immédiatement après la mort que les âmes qui n’ont rien à expier. Ceci implique qu’elles soient purifiées de tout péché, même véniel.

Le ciel, tout comme son opposé l’enfer, sont les deux clefs de voûte de la domination de l’Eglise chrétienne.

Le ciel est l’ultime espérance du petit homme, sa toute dernière possibilité de devenir heureux et de le rester.

 

Ce qui, soit écrit en passant, incita Heinrich Heine au persiflage dans « Deutschland, ein Wintermärchen » :

« Sie sang vom irdischen Jammertal,

Von Freuden, die bald zerronnen,

Vom Jenseits, wo die Seele schwelgt

Verklärt in ewgen Wonnen.

Sie sang das alte Entsagungslied,

Das Eiapopeia vom Himmel,

Womit man einlullt, wenn es greint,

Das Volk, den grossen Lümmel. »

Donc, à quoi bon se plaindre d’une mauvaise condition ici-bas, si on a la certitude d’obtenir le bonheur après un malheureux séjour terrestre !

 

Le séraphique saint François méditait constamment sur le ciel et (toujours) il avait de plus en plus le monde en horreur. C’est pour cela qu’on le représente ayant à côté de lui une mappemonde qu’il foule du pied, avec cette inscription : « Cherchez ce qui est au-dessus, non ce qui est sur la terre ».1

 

Ecoutons l’abbé Silvain qui se couvrit les yeux de ses deux mains après avoir adressé à Dieu une très fervente prière et qui dit : « Ô mes yeux, je voudrais vous fermer à la lumière du jour ! Oui, fermez-vous ; car on ne peut presque pas vous ouvrir sans mettre son salut en danger. Il n’y a rien sur la terre qui mérite de fixer vos regards. Tout ce que le monde présente aux yeux est de peu d’importance, mauvais, et sans utilité pour le ciel. Au ciel tout est grand, tout est beau, tout est éternel. Là nous aurons tout en abondance ; là, nous verrons Dieu ».2

Ces promesses lénifiantes ont permis à l’Eglise de faire accepter au petit homme les pires injustices et les plus grands malheurs.

 

Russell qualifie une telle stratégie de rationalisation du sadisme.

 

On commence par expliquer au petit homme que tout ce qui arrive sur la terre, Dieu le veut ou le permet. Ainsi il permet le péché en tolérant que l’homme s’en rende coupable. Mais Dieu veut aussi tout le reste : les biens et les maux. Pour ce qui est des derniers, le catéchisme nous apprend que Dieu ne lui veut pas directement du mal en lui-même, mais indirectement, comme suite du péché originel, comme punition des péchés actuels ou pour les avantages que ces maux doivent procurer aux hommes.

 

Ainsi on comprend pourquoi il faut « recevoir avec joie ou du moins avec patience les maux qu’il nous envoie, convaincu que, venant d’un si bon père, ils sont pour notre avantage ».3

« Ainsi cher Théotime, cette Providence touche tout, règne sur tout et réduit tout à sa gloire. Il y a toutefois certes des cas fortuits et des accidents inopinés ; mais ils ne sont ni fortuits ni inopinés qu’à nous, et sont sans doute très certains à la Providence céleste qui les prévoit et les destine au bien public de l’univers ».4

 

 LE TROUPEAU

 

« Lux gregis est flamma pastoris »

Grégoire le Grand

 

 « Une histoire honnête portant sur la culture et la civilisation aura d’amères pages à écrire sur l’apport ecclésiastique à la genèse de l’individu de masse, du collectivisme, des normes de gouvernement tyrannique » (père jésuite Alfred Delp peu avant son exécution par les nazis à l’aube du 2.2.1945 à Berlin – Plötzensee).5

 

Dans le chapelet de sentences et de paraboles qui font l’enseignement de Jésus, on retrouve une image particulièrement réjouissante pour notre espèce, à savoir celle d’un troupeau qu’un bon pasteur s’est vu confier pour conduire dans les voies du salut.

 

Jésus se désigne à plusieurs reprises comme le « bon berger » – le « bon berger qui expose sa vie pour ses brebis ».6

Voilà assigné à l’homme le rôle à jouer : faire docilement partie d’un grand troupeau, dirigé et protégé des loups par toute une hiérarchie de pâtres.

 

En effet, très tôt le pâturage soigneusement éloigné des contagions fit l’objet d’une exacte répartition de compétences et de fonctions. Toute une structure de bergers fut mise en place. En français, on l’appelle état ecclésiastique – en allemand, « Hirtenamt ». Je préfère ce dernier vocable, car il rend immédiatement la pensée profonde de l’Eglise : « Hirtenamt… der entsprechende Grund dieses Bildes liegt in der Ähnlichkeit zwischen dem Volke und einer Herde : beide brauchen ein höheres Wesen, das sie vereinigt, zusammenhält, und jeden Teil auf die geeignete Weide führt ».7

 

Le pape se définira essentiellement dans la suite comme le vicaire du Christ ayant la charge auguste et grave de paître et gouverner, non seulement les agneaux, c’est-à-dire tout le peuple chrétien, mais aussi les brebis, c’est-à-dire les chefs du troupeau eux-mêmes.

Le champ où le troupeau sera envoyé en pâture sous la « ferula » de tendres pasteurs, sera purifié de tous germes pernicieux.

Aucun endroit ne sera réservé aux brebis galeuses. Toutes celles qui suivront leur propre chemin se mettront hors du troupeau. Or, il n’y a pas de salut hors du troupeau. Dans son allocution en consistoire secret du 9.12.1854, Pie IX confirma cette vérité élémentaire à l’adresse de toutes les têtes qui voudraient faire à leur tête : « l’Eglise catholique est la seule arche du salut et quiconque n’y sera pas entré, périra dans les eaux du déluge ».

Dans ce troupeau règnera la loi de l’ordre. Il n’y aura place ni pour la singularité, ni pour la fronde. Tous les moutons feront preuve d’esprit de docilité et de labeur.

 

Cet aspect de la vie chrétienne a été analysé pour la première fois par Bernard Groethuysen, philosophe qui a vécu de 1880 à 1946 et dont une partie précieuse de la vie se passait à Colpach, chez les Mayrisch. Grâce à mon regretté professeur de philosophie, feu Jules Prussen, Groethuysen a trouvé son ultime lieu de repos le 19.9.1946 au cimetière du Fetschenhof.8

 

Groethuysen faisait pendant de longues années dans différentes bibliothèques de France ainsi qu’aux archives nationales, des recherches au sujet de la Révolution française qui lui ont permis d’étudier la formation de l’esprit bourgeois.

Gallimard-Tel a édité en 1977 l’ouvrage important « Origines de l’esprit bourgeois en France ». Je puiserai amplement dans le 1er volume consacré à l’Eglise et à la Bourgeoisie.

Le philosophe cite à l’appui de son argumentation toute une série de prédicateurs, catéchistes et auteurs catholiques dont les noms sont sinon oubliés, du moins très peu connus, mais qui ont, grâce à un inlassable travail de pédagogue, forgé la mentalité qui doit habiter et qui a fini par habiter chaque membre du grand troupeau qui continue à « avancer vers l’éternité ».

Les recherches auxquelles s’est livré Groethuysen ont dévoilé plusieurs points-force qui feront l’objet d’une analyse plus serrée.

En général on peut dire que le mouton a trois devoirs :

  • Le premier devoir est d’être fidèle et de connaître la voix de son pasteur
  • Le deuxième est d’entendre sa voix
  • Le troisième est de suivre son pasteur, de ne point le quitter.

Une bonne brebis est docile ; elle ne se contente pas d’entendre la voix du pasteur, elle le suit fidèlement et s’attache à lui.9

 

Chaque mouton se verra assigner selon sa condition, sa place dans le troupeau. On lui apprendra, et il aura pour devoir de ne pas le discuter, que dans le troupeau les uns sont nés pour commander, les autres pour obéir ; que les uns ont un besoin de domestiques et que les autres sont obligés de servir en cette qualité. Tous les moutons se résigneront à leur sort, n’ayant aucune raison de mettre en doute les desseins de la Providence. C’est pour le bonheur des hommes que Dieu a voulu qu’ils fussent tous subordonnés les uns aux autres.10

Ainsi chaque mouton restera bien entendu dans les bornes de son état et marchera vers la bienheureuse éternité, dans le chemin que la Providence a tracé, sans se détourner ni à droite ni à gauche,11 car la vraie vertu resserre nos pensées et nos vues, nos mouvements et nos démarches dans les bornes de notre état.12

 

« Ceux qui sont pauvres ne doivent point se plaindre de leur condition. Ils ont de très grands avantages, et la pauvreté, quand on en fait un saint usage, est un excellent moyen pour se sanctifier ».13

A eux le pasteur adresse de tendres paroles de bienvenue. « Venez donc pauvres, et recueillez la manne céleste qui vous est présentée ;… apprenez à amasser des trésors beaucoup plus précieux que ceux de la terre ».14

 

Ainsi l’ordre sera garanti. Cet ordre qui fait le paradis, par opposition au désordre qui fait l’enfer.15

L’ordre est divin. De ce principe divin universel, chacun devra faire une application rigoureuse à sa vie de tous les jours : « Prescrivez-vous un ordre dans la journée, que vous gardiez inviolablement, si vous n’en êtes empêchés par un ordre supérieur qui vous oblige de le quitter. Réglez le temps de votre repos, de votre repas, de votre étude et de votre divertissement ! On ne vit au Ciel que dans l’ordre ; commencez une vie que vous continuerez dans l’éternité ; elle en sera plus agréable à Dieu, plus commode à votre famille, si vous en avez, et plus avantageuse à votre salut ».16

 Que chaque mouton soit rangé et ami de l’ordre et se souvienne des sages propositions de Quesnel qui avait compris l’essentiel des choses : « La vie est trop peu de chose pour se mettre en peine de changer de condition…la nature aime à se dilater et à s’étendre ; l’esprit de Jésus Christ nous porte à nous resserrer et à nous contenir dans notre petitesse… Heureux qui aime à demeurer en bas ».

Ces principes valent avant tout pour le salut des brebis. « Oui, si une femme veut échapper au vide des journées, au péril du désœuvrement, aux ennuis de la futilité, et arriver à faire quelque chose de sérieux, elle doit avoir un règlement. Il faut que tout dans la journée soit, autant que possible, réglé et ordonné… Il faut de toute nécessité, être décidée, mais absolument décidée, à s’établir dans l’ordre d’un règlement, et pour cela parfois à se contraindre, à se gêner, afin de mettre pour ainsi dire sa vie dans un lit tracé comme celui d’un fleuve, et que les journées s’écoulent d’un cours plein, puissant, fécond et ne se perdent pas comme des eaux qui débordent et se répandent ».17

 

Il faut toujours avoir conscience de la vérité combien saine et simple que « rien n’est impossible sans des habitudes nettes, fermes et fermement gardées ; rien avec la fantaisie, le caprice, la mobilité ou le laisser-aller ».18

 *

Le troupeau vit sous le signe de la pénitence. Il n’y a pas place pour le plaisir. Le rire est prohibé. « Le christianisme à ses débuts condamnait déjà le rire. Tertullien, Cyprien et saint Jean Chrysostome s’élevaient contre les spectacles antiques, notamment le mime, le rire mimique et les plaisanteries… Le chrétien doit observer un sérieux constant, le repentir et la douleur en expiation de ses péchés. »19

 « Les instructions sur les fonctions du Ministère pastoral » éditées à Toul en 1779 mettent en garde contre la danse : « un bon pasteur, y lisons-nous, n’omettra rien pour les défendre. Elles occasionnent des libertés et des regards criminels, des paroles et des chansons obscènes, des pensées et des désirs impurs ».20

Il n’y a place ni pour l’ennui, ni pour l’oisiveté. Travail et encore travail, telle est la loi fondamentale. Dieu l’a voulu ainsi. Le travail « auquel Dieu a condamné tous les hommes, est une suite et une punition du péché ». Jésus-Christ vécut en artisan « pour montrer, dit l’abbé Fleury, que le devoir général des hommes est de travailler en silence ».21  Dans la mesure où la vie laborieuse diminue l’amour du monde, une vie de travail prépare aux vertus chrétiennes.

 

Les instructions de Toul font l’éloge du travail.

« Dieu oblige chaque homme au travail. Il l’a mis au monde pour cela : Homo nascitur ad laborem.22 Il a condamné tous les hommes au travail et cela pour toute une vie… »23

 « On leur (aux moutons) déclarera que quiconque ne travaille pas n’est pas digne de manger ;24 qu’il n’y a point de paradis pour les fainéants… ».25

 « On doit travailler sans interruption : Les ouvriers surtout, les gens à journée ne peuvent sans injustice dérober à leur maître une partie de leur travail ».26

 Tel fut le sermon d’usage à la compagne de Toul pour le dimanche de la Septuagésime.

« La paresse est très condamnable dans les pauvres. Le Seigneur leur a donné de la force, de l’industrie, des mains, des pieds pour travailler. Ils abusent des dons qu’ils ont reçus, dès qu’ils ne s’en servent pas selon les intentions du Seigneur ».27

 Le troupeau est soumis. En son sein il n’y a pas de place pour l’esprit frondeur. « Nous ne jugeons pas des personnes par l’austérité de la vie, mais par la docilité de l’esprit ».28 Notre perfection ne doit pas être en des « choses extraordinaires et singulières », mais en « ce qui nous est le plus habituel… en ce qui remplit les journées et les années de notre vie ».

« Le sage nous assure que le pauvre qui marche dans la simplicité vaut mieux que le riche qui va dans les chemins égarés », nous lisons ces paroles rassurantes dans le manuel édité en 1834 par messire Joseph Lambert : « La manière de bien instruire les pauvres ».

« Le vrai moyen, lisons-nous chez le bon Lambert, d’adoucir le travail et d’y trouver un goût nouveau, c‘est de l’offrir à Dieu et de l’entreprendre pour Dieu. La vue de Dieu et son amour ont la vertu de rendre facile ce qui paraît le plus pénible. On ne peut donc trop exhorter les pauvres à travailler et à sanctifier leur travail en l’offrant à Dieu ».29

Il faut savoir qu’au moment où ces paroles lénifiantes avaient cours légal chez les pasteurs de la campagne, le troupeau devait faire face à la disette et aux pires souffrances.

Il suffit d’ouvrir un livre d’histoire pour apprendre qu’au moment où fut publiée la sixième édition du manuel : « La manière de bien instruire les pauvres » de Lambert, prieur de Saint-Martin de Palaiseau (1834), les classes laborieuses étaient plongées dans la misère la plus noire.

Pour l’ouvrier « vivre… c’est de ne pas mourir ». Adolphe Blanqui rencontre à Rouen des enfants « invalides précoces,… rabougris au point de causer d’étranges méprises sur leur âge » et à Lille : « étirés, bossus, contrefaits, la plupart presque nus ».

« Aucune maison décente pour loger l’ouvrier et sa famille. C’est la cave de Lille ou de Liverpool, le taudis de Whitechapel, de Reims, de Rouen, la haute masure Lyonnaise aux cours nauséabondes. A l’intérieur, des paillasses, parfois sans draps et sans couvertures, où l’on couche à deux ou à trois… ».30

Ainsi Groethuysen a pu dire que « la religion en faisant du travail un devoir sacré et de l’oisiveté un crime, allait devenir l’âme et l’instrument d’une industrie utile ».31

 

L’heureuse médiocrité

 

Ainsi l’Eglise cultive et favorise le vrai juste qui est celui dont la vie est unie ; un homme composé et réglé dans ses mœurs… un homme en qui, quoiqu’il ne fasse rien à surprendre, rien n’est dérangé, ni bizarre…

Groethuysen emploie pour qualifier cette condition la pertinente expression d’ « heureuse médiocrité ». Le penseur ajoute à ses réflexions cette considération rafraîchissante « le disciple des Jésuites, qui s’en tiendra à ce que lui ont enseigné ses maîtres, n’aura évidemment rien de la divine folie du christianisme. »… Il sera le mouton, père de famille et observateur consciencieux de devoirs sans gloire et sans éclat.

L’analyse de Groethuysen arrive ainsi à la conclusion que l’Eglise ne veut pas d’une individualité morale, mais seulement d’un être socialement déterminé.

Rien d’étonnant que la doctrine chrétienne, fondée sur le grégarisme, ait toujours considéré que parmi les grands péchés il y a celui de se singulariser.

Pour elle l’individu ne compte pas. Seul importe le mouton fondu dans le troupeau.

Le Goff démontre que dans la chrétienté le mot « individu » baigne dans une aura louche. D’ailleurs le mot garde un lointain goût péjoratif. Dans la société chrétienne du Moyen Age l’individu fut celui qui n’avait pu échapper au groupe que par quelque méfait. Il était gibier, sinon de potence, du moins de police. L’individu était le suspect par excellence.32

 C’est dans cette préoccupation anti-individualiste qu’il faut trouver l’explication du fait que le droit médiéval, d’inspiration essentiellement ecclésiastique, tenait tant à la règle de l’unanimité. La rupture de l’unanimité est un scandale.

Le grand canoniste Huguccio, au XIIIe siècle, déclara que celui qui ne se rallie pas à la majorité est « turpis », honteux, et que dans un corps, un collège, une administration, la discorde et la diversité sont honteux.

D’ailleurs les théologiens du XIIIe siècle ne manquent pas de voir dans la diversité une corruption de la nature résultant du péché originel.33

Cette conception a fortement coloré le chrétien qui est en permanence sollicité à s’effacer et à vivre selon la règle d’or de la médiocrité que les saints pères dissimulent sous de pieuses appellations, telles modestie, humilité ou pauvreté d’esprit.

Ecoutons saint Sales, de sainte mémoire :

« Bienheureux sont les pauvres d’esprit, car le Royaume des cieux est à eux ; malheureux donc sont les riches d’esprit, car la misère d’enfer est pour eux ».34

 La bonne brebis « tient l’esprit rangé dans les bornes d’une sainte modestie, voulant savoir simplement ce qui est nécessaire et retrancher la curiosité de toute autre chose ».

*

 

Il faudra attendre la Renaissance pour voir apparaître les premières brèches dans les clôtures des pâturages où le troupeau chrétien broutait l’herbe céleste… La Renaissance réhabilitera le rire. « Le rire a une profonde valeur de conception du monde, c’est une des formes capitales par lesquelles s’exprime la vérité sur le monde dans son ensemble, sur l’histoire, sur l’homme… ». Bakthine nous apprend comment le Renaissance présentait le rire comme une forme universelle de la conception du monde. Et il cite comme exemple le « Quart Livre » de Rabelais ainsi que le « Roman » d’Hippocrate particulièrement prisé à la Faculté de médecine de Montpellier où Rabelais fit ses études. « Toute la culture comique du Moyen-Age s’entend comme un drame satirique s’opposant à la morose idéologie chrétienne ».35  Le rire homérique du Moyen-Age était un rire de libération de la chape de plomb que l’Eglise avait descendue sur l’humanité.

Avec la redécouverte de l’antiquité, l’homme reprendra sa place et la joie de vivre remplacera le contemptus saeculi, si typique du monachisme.

L’art religieux du Moyen Age avait un caractère collectif et anonyme. La renaissance sera le triomphe de l’individu. Elle est de ce point de vue déjà essentiellement païenne. Toute tentative de récupération par l’Eglise ne pourra qu’échouer, car avec la Renaissance a commencé l’agonie de l’obscurantisme religieux.36

*

Au vingtième siècle, le siècle du totalitarisme, une nouvelle Eglise à savoir le Communisme fera du grégarisme, l’instrument supérieur du salut collectif. La « ferula » catholique sera remplacée par « le marteau et la faucille ». Les pâturages seront désormais à l’Est. Le troupeau paîtra presqu’un siècle à la gloire de la « Société sans classes ».

 

 

 

ANNOTATIONS

 

1          Dictionnaire Schérer, tome 1, p.704 

2          Dictionnaire Schérer, tome 1, p.703

3          Catéchisme, par Rochet, p.67

4          Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, p.419

5          Alfred Delp, Gesammelte Schriften, Knecht, 1984, tome IV, p.319

6          Jean 10. – 16.

7          Kirchenlexikon, sub Hirtenamt, p.38

8          Exhumé le 7.5.1981, désormais enterré au cimetière Notre-Dame à Luxembourg

9          Voir Instructions de Toul, 1780, tome IV

10        Froges – curé de Mayet, diocèse du Mans, Instruction de Morale, d’Agriculture et d’Economie pour les Habitants de la Campagne, 1769, p.248

11        Houdry, tome III, p.91

12        Houdry, tome III, p.91

13        J. Lambert, La manière de bien instruire les pauvres, p.285

14        J. Lambert, La manière de bien instruire les pauvres, p.i j.

15        R.P. Jean Crasset, Considérations sur les principales Actions Chrétiennes, édition de 1732, pp. 64 et ss.

16        R.P. Jean Crasset, Considérations sur les principales Actions Chrétiennes, édition de 1732, pp. 64 et ss.

17        Mrg. L’Evêque d’Orléans dans La femme studieuse, Paris, Douniol, 1875, pp. 90 et ss.

18        Mrg. L’Evêque d’Orléans dans La femme studieuse, Paris, Douniol, 1875, pp. 90 et ss.

19        Bakthine, L’œuvre de François Rabelais, p.82 et ss.

20        Les instructions sur les fonctions du Ministère pastoral, Toul, 1er tome p. 97 

21        Fleury, Mœurs des Israëlites et des Chrétiens, nouvelle édition, 1766, p. 57

22        Job. 5

23        Voir Instructions de Toul, tome 3, pp.227 et ss.

24        2 Ephes. 3.

25        Voir Instructions de Toul, tome 3, pp. 227 et ss.

26        Voir Instructions de Toul, tome 3, pp. 227 et ss.

27        J. Lambert, oedem, p. 154

28        Bourdaloue, Sermon pour la fête de St. François de Sales, tome II, p. 36

29        J. Lambert, oedem, p.157

30        Anhoyer, XIXe siècle, p.67

31        Groethuysen, oedem, p.214

32        La civilisation de l’occident médiéval, Flammarion, pp. 258 et ss.

33        Voir Le Goff, ibidem, p.257

34        Saint Sales, ibidem, p.170

35        Bakthine, oedem, p.75 et 96

36        Voir Louis Réau. La Renaissance, Armand Colin, 1936

Le pâturage l’an deux mille – Gaston Vogel  – Phi, collection Essais, mars 1999

 

Gaston VOGEL.

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