LE PILORI DES TEMPS NOUVEAUX
Dans certaines cités médiévales, fort belles et proches du pays d’ailleurs, le visiteur, une fois arrivé au centre s’arrêtera devant un poteau sui generis qui donne froid au dos.
On l’appelait le « PRANGER » ou le pilori.
Le condamné y fut enchaîné, tenant en ses mains un panneau où se trouvait écrit le forfait qu’on lui reprochait.
Cette « installation » fait partie des pires punitions dignes d’un droit pénal sauvage, répugnant, révoltant.
Le passant insultait l’enchaîné, crachait sur lui, le ridiculisait – l’enchaîné avait fini d’être un humain – il n’était plus qu’un objet qu’on pouvait salir à envie.
Cette horreur qui faisait fi de toute dignité, ne laissant place au plus petit restant de respect, fut abolie par la Révolution française.
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L’institution n’a pas pour autant disparu.
Bien au contraire, elle a connu une mutation in peius, à l’origine locale et limitée à une cité, adoptée désormais par les médias et les réseaux sociaux, elle prenait subitement une dimension universelle.
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Tous les jours on voit la presse et les écœurants réseaux livrer un ou plusieurs individus au mépris du trottoir.
Rien ne retient les folliculaires en mal de scoop de démolir des inculpés en révélant tout ce qu’ils ont pu obtenir à leur charge par des indélicats leur ayant révélé en violation du secret de l’instruction, l’essentiel d’un dossier.
La journaille fait fi de la présomption d’innocence – cette fameuse présomption inscrite au tableau des « valeurs actuelles ».
On laisse faire ! Personne ne s’en occupe.
Donc ni respect pour l’inculpé, aucune retenue dans la révélation des faits en discussion, pourtant encore en instruction secrète et au risque de mettre la vérité cul par-dessus-tête.
Le procès a une longueur d’avance, il a ainsi lieu au trottoir.
Les badauds s’en occupent à cœur joie.
Qu’y a-t-il de plus agréable pour réjouir un cœur ennuyé que le Beschass ?
La famille de l’inculpé se terre, les enfants sont chahutés à l’école, on se moque d’eux, une situation atroce.
Il est connu que les enfants à cet âge sont cruels, ainsi que l’ont démontré de récents événements.
Le pilori médiatique a enchaîné il y a quelques semaines un docteur, certes inculpé mais nullement condamné, en révélant l’intégralité du dossier et l’exposant ainsi à un tel point au mépris public, que toute la famille tombait dans un état de souffrance aigue.
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La presse est devenue la vache sacrée de nos démocraties.
Elle se croit tout permis.
Aucun homme politique n’ose le déranger, car il encourrait aussitôt les foudres des folliculaires.
J’entends déjà les onomatopées poussées par ces misérables.
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Nous vivons ainsi une nouvelle sauvagerie qui fera de nos sociétés des porcheries.
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Il est absolument de toute première urgence de mettre fin à ces pratiques au plus haut point répréhensibles, marquées au coin du Beschass et de la plouquerie.
C’est un problème de lege feranda.
Le législateur devra interdire, sous peine de sanctions élevées, qu’un procès qui n’a pas quitté le stade de l’instruction secrète, puisse être débattu au trottoir et y faire le plaisir des badauds qui n’attendent rien de plus que de se vautrer dans la misère des autres.
Le 17.06.2024
Gaston VOGEL