L’INTÉGRATION OU LE DROIT À L’ALTÉRITÉ

L’INTÉGRATION OU LE DROIT À L’ALTÉRITÉ

18 août 2016 Non Par Me Gaston Vogel

 

Intégration, c’est un mot qui est dans toutes les bouches.

Toujours ce même refrain quant à la façon d’être et de se comporter qu’on attend de la part d’un réfugié, c’est à dire de l’Autre. – Assimilation !

Il s’agit d’une approche très simpliste qui s’articule en propositions rudimentaires telles que :

« Il n’a qu’à s’intégrer – s’adapter – épouser la société qui l’a accueilli – se comporter comme tout le monde – apprendre le luxembourgeois.

(J’ai entendu cette exhortation de la bouche d’une Française qui vit depuis trente ans chez nous et ne sait toujours pas prononcer un mot en Luxembourgeois. Exemplaire intégration n’est-ce pas ?)

Que les femmes jettent la burka aux orties, la burka cette provocation écœurante et impossible ».

Et des balivernes de ce genre.

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Ne suffit-il pas que le réfugié se comporte comme un citoyen ordinaire respectueux des lois et maitrisant un tant soit peu le vocabulaire du pays d’adoption pour se faire comprendre ? Et pour ne pas tomber dans ce travers si sympathique : parler arabe (lire Français).

Tout le reste n’est pas de notre compétence.

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Revenons à la burka qui est devenue l’épicentre de la problématique d’intégration.

Elle fut érigée en tabou.

Il faut se laver la bouche trois fois avant de prononcer le mot – le mot en lui-même déjà  ahurissant pour les oreilles sensibles.

En elle se concentrent tous les interdits et fantasmes.

C’est autour d’une certaine manière de se vêtir que tourne et tourne inlassablement la roue de la bêtise de nos censeurs.

Combien de haine, de mépris, de condescendance humiliante, et donc de racisme ne sont-ils pas venus empoisonner ce vocable qui est devenu synonyme de peur, de colère et de rejet. – et répétons-le sans ambages : de racisme.

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La burka, ce voile épais de couleur sombre qui couvre le corps d’une femme nubile, fait partie du droit à l’altérité du peuple chez qui cette mode a cours.

Nous n’avons pas à nous en occuper.

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La burka soulève tout le problème de l’altérité et donc du droit de refuser une assimilation.

Nous allons analyser la question au regard de l’histoire d’un grand peuple qui de tout temps a refusé à juste titre de se plier aux exigences de la majorité ambiante : le peuple juif.

S’il l’avait fait, il aurait de longue date disparu dans l’assimilation.

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L’altérité est une chose insupportable à ceux qui sont « communs ». Au sein du troupeau la différence est une tare. Il n’est pas admis qu’on quitte le pâturage et qu’on aille brouter sur d’autres terres, à sa manière, son herbe propre. Celui qui ose le faire se marginalise. Le troupeau finira par l’expulser. Ce phénomène nous met à la racine même du mal qu’est le racisme. Le racisme n’est en effet en définitive que le rejet irrationnel, brutal, violent, sans nuance de tout ce qui par son altérité peut déranger l’habitus général. Ceux qui donneront à l’instinct de rejet de l’autre les arguments théoriques, assument dans l’évolution des choses d’énormes responsabilités.

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Un bref rappel historique

En 722 avant J.C., le royaume hébreu au Nord de la Palestine, celui des dix tribus, avait été écrasé par l’armée de Sargon II, et ses habitants, déportés, s’étaient trouvés pour la plupart absorbés par les envahisseurs. Avec la prise de Samarie, le glas avait sonné pour le royaume d’Israël.

Il en est resté une blessure béante qui ne s’est jamais cicatrisée.

En 586 le royaume de Juda allait subir à son tour un épouvantable désastre. Le temple fut réduit en ruines, le culte supprimé, la meilleure partie de la nation emmenée en captivité à Babylone.

C’était le moment ou jamais d’éviter la répétition du cataclysme de 722. Une telle répétition aurait signifié, comme tel a été le cas pour d’innombrables peuples disparus à tout jamais, l’extinction totale et définitive de la nation juive.

A Babylone, les dirigeants juifs, aux prises avec de telles angoisses, creusaient aussitôt le problème de la survivance. Comment conjurer l’extinction totale ? Il fallait donc se demander par quels moyens, maintenant que le sanctuaire n’existait plus et que le peuple transplanté se trouvait exposé à subir de puissantes influences étrangères, il pourrait préserver, perpétuer sa vie profonde, son individualité spécifique… Au sein de la communauté des captifs, une personnalité de premier plan se dresse : c’est le prophète Ezéchiel…

Les anciens de Juda se réunirent chez lui… La solution qu’ils retinrent, un mot peut le résumer : Tora… corps de doctrines, écrites et orales, que le passé a transmis aux exilés… Ces écrits devaient s’imposer à leur attention constante, s’imprimer dans leur cœur, leur rappeler sans cesse que, vivant à Babylone, ils n’étaient pas de Babylonie et qu’une obligation sacrée leur incombait : demeurer un peuple à part…

Un grand scribe Esdras allait rendre la vitalité à une communauté moribonde par la restauration de la Tora. « La Tora sera la frontière de feu qui assurera au peuple juif son inaltérable altérité ». Selon Cohen ce sera « la semence dont procédera le Talmund… Esdras enseignait que l’existence quotidienne du juif doit nécessairement être réglée dans chacune de ses étapes, par les préceptes que l’on trouve dans la Tora, qui deviendra un guide complet de l’existence ».

Nous lisons chez Cohen : « Si donc la nation juive pouvait se maintenir, il lui fallait s’entourer d’une foi ardente qui lui fasse une frontière de feu. Il fallait au juif une religion qui, non seulement le distinguât continuellement des païens, mais qui lui rappelât sans cesse à lui-même qu’il était un membre du peuple juif.

Pour le distinguer de ses voisins une simple croyance n’eût pas suffi ; il fallait toute une manière d’être : spécifique devait être sa façon d’adorer, typique sa maison ; jusque dans les actions ordinaires de l’existence quotidienne certains traits distinctifs devaient constamment rappeler qu’il était juif. Le moindre détail de sa vie avait à subir le contrôle de la Tora, à se soumettre aux stipulations du code mosaïque et à leur mise en œuvre dans l’existence de la collectivité de son peuple lorsque des conditions nouvelles exigeaient une modification ».

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C’est une grande leçon – elle devrait servir de base à la politique devant régir le problème des réfugiés.

Ne touchons pas à leur identité !

Ne les accablons pas des interdits de la chrétienté occidentale, qui tout au long de son histoire a eu pour l’Autre, guerre, torture et humiliation de toutes sortes.

L’Autre s’en souvient.

Ce n’est pas par hasard qu’il évoque les croisés.

Rappelons enfin aux belles âmes qui maudissent la burka comme symbole d’humiliation de la femme, que jusqu’en 1972, le Code Civil classait les épouses dans la catégorie des incapables, faibles d’esprit et prodigues.

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Le droit à l’altérité est un droit élémentaire, absolu de l’homme ; un droit qui, en force et en intensité, ne le cède en rien à celui d’être commun. Le jour où l’humanité aura compris la stricte équivalence de ces droits et aura admis leur simultanéité et complémentarité, elle pourra fêter une grande victoire sur le front de la libération de la guenon. Ce serait peut-être la fin des racismes sous toutes les formes. Nous n’y sommes pas, nonobstant toutes les déclarations solennelles, conventions internationales et leçons administrées par l’histoire.

Gaston VOGEL

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